Par Franck BULEUX
Avant la réforme constitutionnelle de 1962 sur le mode de scrutin de l’élection présidentielle, l’élection du président de la République était le fruit d’élus territoriaux. Ainsi, la première élection de Charles De Gaulle, en décembre 1958, se déroula de cette façon et le premier président de la Ve République mobilisa 79 % des 80 000 élus face au représentant communiste (13 %) et au candidat des gauches socialiste et radicale (8 %).
En 1962, De Gaulle souhaitait créer un lien direct entre le président élu et les Français, ce qui fut fait dès décembre 1965. Toutefois, il ne voulut pas éloigner totalement le chef de l’État des élus du maillage territorial. Aussi, la réforme référendaire prévoyait un parrainage rendu publique, contrôlé et validé par le Conseil constitutionnel, d’au moins 100 élus comme préalable à toute candidature à l’élection suprême.
Dans le pays des 35 000 communes, cela peut sembler simple et aisé mais les représentants du territoire ne s’engagent pas comme cela au profit d’une candidature politisée et, parfois, trop clivante pour certains de leurs électeurs. Aussi, l’élection de 1969 marqua l’absence de la droite nationale aux joutes électorales, ceci fut un véritable problème dont on mesura longtemps les conséquences : De Gaulle ayant fait de cette élection le pivot de la vie politique française, l’absence d’un courant idéologique signifiait sa disparition médiatique et politique. Or, en 1969, la candidature de Pierre Sidos, président-fondateur de l’Œuvre française (OF) fut rejeté par le Conseil constitutionnel. Une courte, mais réelle, polémique s’engagea : les motifs du Conseil étaient les suivants : « le nombre des présentations valablement émises en faveur de ce dernier (Pierre Sidos) est inférieur au minimum exigé par les dispositions de l’article 3-1 de l’ordonnance n° 62-1292 du 6 novembre 1962 ». Ce refus fut pourtant considéré par Le Soleil, organe de L’Œuvre française, comme dû à la présence au Conseil constitutionnel de Gaston Palewski et René Cassin « tous deux d’ascendances juives étrangères », considérations partagées par Roger Peyrefitte, écrivain libre (et frère d’Alain), dans l’un de ses écrits en 1973. Toutefois, accepter la candidature de Pierre Sidos aurait pu, dans une certaine mesure, être interprété comme un acte de réhabilitation du passé collaborationniste des Sidos durant l’Occupation.
Quoi qu’il en soit, la droite nationale, après Tixier-Vignancour en 1965 et ses 5 % des suffrages, disparut de la course à l’Élysée en 1969. Mauvais présage pour la décennie qui venait.
En 1974, la candidature de Jean-Marie Le Pen, pour symbolique qu’elle fut au nom du Front national (FN) – 0.7 % des suffrages exprimés – permettait de voir défendre, sur les écrans, les affres de la société telles l’insécurité et l’immigration abusive.
Cette candidature, ainsi que d’autres, entraîna la modification, dès 1976, de la règle des parrainages. Valéry Giscard d’Estaing, pourtant élu grâce aux « petits candidats » (puisqu’il ne totalisait que 33 % au premier tour contre 43 % à François Mitterrand) refusait que l’on puisse donner la parole à des « marginalités politiques ». Qui était visé, sinon principalement la droite nationale ? La réforme de 1976 exige désormais le parrainage de 500 signatures d’élus pour candidater à la présidentielle (cinq fois plus que précédemment !)
Ce fut l’une des grandes « victoires » posthumes (après sa défaite) de Giscard d’Estaing : 1981 marque un constat d’échec pour les représentants potentiels de la droite nationale, qui paraît disparaître de la vie politique : ni Jean-Marie Le Pen pour le FN, ni Pascal Gauchon pour le Parti des forces nouvelles (PFN), ne parvinrent à participer à l’élection qui vit la victoire du « candidat à la rose au poing ». Pour le FN et le PFN, le « barrage » des 500 signatures a fait son œuvre : le PFN appelle à voter Chirac et le FN, « Jeanne d’Arc ».
Chacun pense que la condition des 500 signatures marque la fin de la présence de la droite nationale à l’élection présidentielle. C’était mal connaître les Français qui, en se mobilisant pour le FN à partir de 1983 lors d’élections locales puis en 1984, lors des élections européennes (11 %), permirent le retour de la droite nationale sur le devant de la vie politique. Mais se positionner sur le devant de la vie politique n’est pas toujours synonyme d’élus, Front républicain oblige.
1988 approche et Jean-Marie Le Pen ne parvint à être candidat qu’à la suite de l’élection, en 1986, de 137 conseillers régionaux FN à la proportionnelle (et 35 députés). Cet apport lui permis, tout juste, d’être candidat et de rassembler près de 14.5 % des suffrages, pulvérisant son score de 1974.
Mais la possibilité d’une candidature ne fut rendue possible qu’à la faveur des 10 % obtenus aux élections régionales de mars 1986 et le premier trimestre 1988 fut consacré exclusivement (l’équipe était portée par Carl Lang) à la recherche des 500 parrainages à travers la France, occultant ainsi une campagne de fond face au triumvirat du mondialisme, Mitterrand, Chirac, le « candidat résiduel » (dixit Le Pen entre les deux tours lors d’un mémorable rassemblement, sous la pluie battante, aux Tuileries) et Barre.
Et, depuis, à chaque élection : 1995, 2002, 2007, 2012 et 2017, pour Le Pen, père ou fille, c’est la même problématique : s’appuyer sur les élus régionaux pour aller chercher les élus municipaux qui formeront l’ensemble des 500 signatures. Certes, depuis 1988, les élus régionaux ont permis une candidature non plus symbolique, mais politique puisque Marine Le Pen rassembla 34 % des suffrages lors du second tour de la dernière « mère des élections ».
Ce système, critiquable sur le fond : pourquoi vouloir lier les Français à leur président, tout en maintenant une condition « orientant » les candidatures ? On ressent ici les limites de la Ve République, dont le but était de rénover les institutions tout en évitant une fracture française, or les Français sont proches de leurs élus locaux, ce système, disais-je, doit aussi nous questionner sur la forme : sans proportionnelle, il aurait probablement été improbable de disposer, pour la droite nationale, d’un candidat, à chaque élection présidentielle, depuis 1988.
Aussi, les élections régionales prochaines sont, une nouvelle fois, fondamentales car elles permettront à la droite nationale de disposer d’un(e) candidat (e) susceptible de gagner. L’élargissement de l’assiette des élus favorables à la droite nationale permettrait aussi d’avoir la possibilité, dès son entrée en campagne, de parler des thèmes qui concernent l’électorat, et pas seulement des conditions d’accès à la candidature.
Souvenez-vous des élections précédentes, la première question posée au candidat national était la suivante : « Où en êtes-vous de votre recherche des 500 signatures ? » permettant ainsi d’éviter tout débat sur le fond programmatique.
Puisque personne (sauf Mélenchon qui propose un choix « populaire » avec des signatures de citoyens) ne remet en cause cette sélection élitiste, sans rapport avec l’esprit de la Ve République, conservons cette tradition mais faisons en sorte, lors des élections régionales, que le mode de scrutin proportionnel de liste permette une représentation plus fidèle de l’électorat français.