FRANCOIS D’ASSISE : DE LA MALADIE AUX « STIGMATES »

Par Bernard PLOUVIER

Giovanni Bernardone, fils de Pietro di Bernardone Moriconi et de son épouse, née Jeanne de Bourlemont, est plus connu sous le nom de Francesco (le petit Français) : François d’Assise.

François d'Assise — Wikipédia

Il a participé comme prédicateur itinérant à la 5e croisade, réclamée par les souverains pontifes depuis 1215, qui a fort mal débuté en 1218 et qui sera un coûteux fiasco, en raison de l’exceptionnelle stupidité du légat pontifical, le cardinal espagnol Juan Pelagius-Galvani, « Pélage » pour les auteurs français.

François aborde Saint-Jean-d’Acre en juillet 2019, sillonne le delta du Nil puis la Palestine, soit des terres très insalubres à l’époque, et repart au bout d’une année, sans avoir reçu la palme destinée au martyr, mais ayant contracté la maladie qui raccourcira sa vie.

Saint François d` Assise - Babelio

Depuis 1202, il souffre de malaria – ce qui n’est guère surprenant en Italie du Centre. Ses jeûnes répétés ont altéré gravement sa santé bien avant son séjour au Proche-Orient. Mais dès son retour en Italie, ses frères constatent qu’il souffre d’une ophtalmie purulente qui ne le quittera guère jusqu’à sa mort survenue le samedi 3 octobre 1226.

Saint François d'Assise - Chrétiens aujourd'hui

Or en 1223, il séjourne au monastère de la Grotte Sacrée (le Sacro Speco) de Subiaco – grossièrement à 70 km à l’Est de Rome. Il y croise un très talentueux portraitiste sur fresque qui laisse à la postérité une remarquable description picturale des yeux de Fra Francesco. Il est impossible d’affirmer que le peintre était Conxolus, puisqu’on ignore tout des dates de naissance et de mort de ce très grand peintre du XIIIe siècle.

Photo libre de droit de Monastère De Grotte Sacrée De Saint Benoît À Subiaco  Province De Rome Latium Italie Centrale banque d'images et plus d'images  libres de droit de Antique - iStock
MONASTERE DE LA GROTTE SACREE DE SUBIACO

Quoi qu’il en soit, cette fresque permet d’affirmer que François présente en 1223 des séquelles d’iridocyclite : des signes d’inflammation ancienne ou chronique des iris. Ses pupilles sont irrégulières, nullement arrondies : la droite est vaguement rectangulaire à grand axe vertical et la gauche presque triangulaire.

Iridocyclite chronique avec complications secondaires (synéchies... |  Download Scientific Diagram
IRIDOCYCLITE

En outre, l’on constate un liseré jaunâtre bordant les conjonctives oculaires, ce qui évoque le «  pannus conjonctival  » du trachome. Sur l’unique portrait de François fait de son vivant, ce liseré jaunâtre est bien discernable à l’angle extérieur de l’œil droit, aux angles interne et externe du gauche, et au-dessous de la cornée de façon bilatérale.

Iridocyclite : symptômes, traitement, définition - docteurclic.com

Ceci, joint à la notion d’une quasi-cécité en 1225-26, à un âge où François, né en 1182, est trop jeune pour souffrir de cataracte ou de dégénérescence de la rétine, d’autant que l’on n’a pas connaissance de trouble oculaire chez sa mère ou son frère Angelo, évoque les conséquences chroniques de l’infection à Chlamydia trachomatis, endémique en Égypte et au Proche-Orient.

Cette maladie peut être transmise par voie vénérienne – mais seuls les romanciers sont obsédés par la sexualité de François – ou surtout par contact direct avec un sujet infecté : c’est l’une de ces nombreuses maladies « des mains sales » si fréquentes encore de nos jours en zones où l’hygiène est nulle. En revanche, rien dans les manifestations pathologiques de François n’évoque la lèpre… envisagée par divers romanciers se recopiant mutuellement !

Le reste des manifestations pathologiques de François s’explique fort bien si l’on fait intervenir une complication non rare du trachome : l’arthrite réactionnelle ou syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter – selon la terminologie médicale française, le reste du monde médical préférant le terme de «  Reiter’s Disease », puisque c’est l’infectiologue Hans Reiter qui a le premier décrit cette maladie en 1916, lors de la Bataille de Verdun.

La bibliothèque de Hans Reiter par Jouannais

Divers « vengeurs de la mémoire » ont voulu le déposséder de sa découverte en prétextant une activité de directeur de l’Office de Santé du Reich, durant les années 1933-45 et une expérimentation de vaccin dirigé contre le typhus au camp de concentration de Buchenwald durant la IIe Guerre mondiale. Le fanatisme politique, religieux ou communautaire ne devrait pas avoir cours en médecine ; ce n’est, hélas, pas la conception de tout le monde !

Hans Reiter • LITFL • Medical Eponym Library

Dans cette maladie dysimmunitaire, induite par l’infection chronique sur un terrain génétiquement prédisposé, l’on constate un rhumatisme inflammatoire chronique, des signes cutanés et cardiaques, en plus des signes oculaires.

Depuis Hippocrate, les médecins s’efforcent de réunir dans un même cadre diagnostique l’ensemble des signes que présente un malade. Cette conception uniciste est parfois erronée ; dans d’autres cas, elle permet de brillants diagnostics.

Dans le cas de François, elle explique admirablement sa pathologie cutanée (ses « stigmates de la passion du Christ »), ses difficultés à la marche (par une arthrite de la cheville – une arthrite tibio-tarsienne –, qui est une localisation fréquente de l’arthrite réactionnelle), les signes oculaires (le pannus conjonctival et des séquelles d’irido-cyclite), enfin sa mort par insuffisance cardiaque globale… une rareté pour un homme de 44 ans, sauf si l’on se souvient que la myocardite est une complication classique d’une maladie de Reiter non traitée de façon moderne.

Il serait intéressant d’analyser, au moyen d’une technique de génie génétique, un minuscule fragment de la dépouille de François, déposée dans la basilique d’Assise, pour y rechercher la présence de l’antigène de groupe HLA-B27, si fréquent au cours des arthrites réactionnelles… il est peu probable que l’Église catholique autorise une telle recherche de nature scientifique.

Le pape François à Assise
Tombeau de St-François d’Assises

La piété, le fanatisme religieux s’opposent à ce que l’on passe du domaine irrationnel, celui du « miracle de la stigmatisation », à celui fort logique de la maladie. Les « stigmates » de François, qui furent imités au fil des siècles par une foule d’hystériques et d’halluciné(e)s, ne sont nullement des plaies sanguinolentes des paumes des mains et du dos des pieds – les pieux faussaires en rajoutant sur l’hémi-thorax droit.

Les stigmates.. - La peur de la peur ?

Frère Léon, le plus proche compagnon de François, qui les a vues du vivant de François a évoqué non pas des plaies (soit des ulcérations, des zones où la peau a disparu), mais un bourgeonnement dur avec un épaississement de la peau des paumes des mains et de la plante des pieds : c’est ce que les vieux médecins appelaient le syndrome de Vidal-Jacquet, au cours des infections à Chlamlydia, de nature vénérienne.

Les stigmates de saint françois - Province des Frères Mineurs de France et  Belgique

Thomas de Celano qui a bénéficié des confidences de Léon, mais aussi de Frère Masseo, pour écrire en 1228 la Prima Vita nécessaire au procès de canonisation, a évoqué « des têtes de clous » pour les qualifier : « Et ainsi paraissaient clouées ses mains et ses pieds » ; Celano n’évoque nullement d’éventuelles lésions cutanées sur le thorax.

Les Stigmates de saint François | L'Annonciade

La notion de bourgeonnement hyperkératosique (c’est la formulation savante pour désigner l’aspect en tête de clous des lésions cutanées, indurées à la palpation) permet d’éliminer l’hypothèse d’un banal eczéma, d’une mycose cutanée ou une pustulose palmo-plantaire. On pourrait évoquer un Lupus Érythémateux Chronique (dans sa forme crétacée) ou un psoriasis, qui sont deux maladies dysimmunitaires comme l’arthrite réactionnelle, mais qui ne permettent pas de prendre en compte le trachome contracté au Moyen-Orient.

Frère Léon évoquait des clous de charpentier, alors que les médecins-poètes du monde moderne décrivent des clous de tapissier. Cette double terminologie témoigne d’un même aspect : celui de lésions cutanées indurées en forme de nodules arrondis. Durant l’Antiquité et jusqu’à la fin du Moyen Âge, les clous utilisés par les charpentiers avaient une tête conique ou arrondie, comme c’est le cas de la tête des clous de tapissier de l’époque moderne et contemporaine.

La mort physique de Jesus, etude scientifique medicale / Partie 3:  enclouage des poignets.
LA MORT PHYSIQUE DE JESUS

De nombreux autres témoins ont vu ces lésions, les interprétant immédiatement comme des représentations des plaies du Christ : le cardinal Rinaldo de Segni, qui sera élu pape en 1254 et prendra le nom d’Alexandre IV, qui était le neveu du cardinal Hugolin, lui-même élu pape en 1227, devenant Grégoire IX ; Frère Masseo et Frère Rufin ; Jacqueline et Jean Frangipani de Settesoli.

Le luthérien Karl Hase, auteur d’une biographie très malveillante de François parue à Leipzig en 1856, en a menti quand il a affirmé que les lésions cutanées avaient été inventées par Frère Élie après la mort de François. Montaigne n’a guère fait mieux (Essais, 1er Livre, chapitre XXI) : « Les uns attribuent à la force de l’imagination les cicatrices du roi Dagobert et de saint François »… une méchante langue rappellerait que Montaigne est né d’une mère juive !

Chapter 7 Stigmatized Blood in the Vatican Courts in: The Devotion and  Promotion of Stigmatics in Europe, c. 1800–1950

Si les opposants avaient eu un peu de culture historique et mécanique, ils auraient dit et écrit qu’il ne peut y avoir de stigmate de la crucifixion au niveau de la paume des mains !

En 1598, dans un écrit qu’il avait ordonné de publier un an après sa mort, le prudent autant que savant juriste spécialisé en droit romain et cardinal-archevêque de Bologne Gabriele Paleotto-Paleotti proclamait que l’on ne peut crucifier un individu maintenu à la verticale en clouant la paume de ses mains : par le seul effet du poids du corps, le clou arracherait les tissus mous (muscles, tendons et peau) de la main.

Au XXe siècle, un chirurgien catholique de l’Hôpital Saint-Joseph de Paris, Pierre Barbet, a démontré, par expériences menées sur cadavres, que les Carthaginois et les Romains antiques plantaient les clous au niveau du poignet, dans l’espace compris entre le grand os et l’os crochu de la rangée inférieure des os du carpe et les os semi-lunaire et pyramidal de la rangée supérieure, soit dans l’espace carpien décrit par Étienne Destot en 1904.

En pratique, les bourreaux antiques savaient qu’il leur fallait enfoncer le clou, non au niveau de la paume des mains, mais au-dessus de la 3e phalange à 8 cm environ de sa tête.

La Bible face à la critique historique

La quasi-totalité des représentations picturales de la crucifixion sont fausses et pour deux raisons. La vraie croix romaine avait la forme d’un tau, ce qu’avait rappelé le très savant pape Innocent III, et les clous devaient transfixier les poignets pour être efficaces. Seuls Pierre-Paul Rubens et Antoine van Dyck, parmi les grands maîtres, ont été assez bien renseignés pour éviter les erreurs de leurs confrères.

Fichier:Peter Paul Rubens, Crucifixion, c.1618-1620.jpg — Wikipédia
RUBENS
Crucifixion, c.1622 - Anthony van Dyck - WikiArt.org
VAN DYCK

La médecine est une affaire sérieuse et fort compliquée en elle-même pour n’avoir pas à subir des interférences métaphysiques… les médecins ont déjà suffisamment à faire pour se débarrasser de la supercherie psychanalytique pour n’être pas en plus obligés de gérer le fanatisme religieux.

En annexe : sur la mort physique de Jésus : http://www.revueenroute.jeminforme.org/la_mort_physique_de_jesus_1.php