A QUI LE TOUR ? LA RUSSIE, BIEN SUR !… 2/2

Par Michel LHOMME

Comme indiqué dans notre précédent article, il est clair que l’administration Biden relance la politique anti-russe de l’Etat profond américain et que le clan des néo-conservateurs se retrouve de nouveau aux postes clefs de la diplomatie comme de la défense américaine. 

De même, il est indéniable que durant quatre ans, quelle que soit ce que l’on pense du populisme du président Donald Trump, ce dernier a toujours tenté d’apaiser les tensions américano-russes malgré la constante hostilité, durant son mandat, de l’État profond états-unien, qui a poursuivi la politique de sanction à l’égard de l’ours euro-asiatique. À peine installé à la Maison Blanche, Joe Biden a donc d’ores et déjà relancé la politique anti-russe débridée des Etats-Unis qui était menée par l’Administration Obama. 

À l’occasion de la prolongation du traité de désarmement américano-russe New Start, le gouvernement états-unien a annoncé la couleur : le mandat de Biden sera en partie consacré à la géopolitique anti-russe. Ainsi, le chef de la diplomatie, Antony Blinken, a déclaré, dans le communiqué annonçant l’extension de l’accord (jusqu’au 5 février 2026) : « En même temps que nous travaillons avec la Russie pour promouvoir les intérêts américains, nous allons aussi travailler pour faire rendre des comptes à la Russie pour ses actes antagonistes et ses violations des droits humains, en étroite coordination avec nos alliés et partenaires. »

Nous ne reviendrons pas ici sur la nouvelle propagande anti-russe avec l’affaire Alexeï Navalny, largement traité ailleurs, l’agent des Anglo-Américains se présentant comme opposant à Vladimir Poutine et prétendant avoir été empoisonné par les services secrets russes mais nous reviendrons sur des faits parfois passés inaperçus mais réellement inquiétants en tant que préparatifs de guerre.

La remilitarisation sans précédent de la Suède et le danger arctique

Militaire suédois

Prenons par exemple, l’augmentation de 40% du budget de la Défense suédois qui par ailleurs porte, chiffre non négligeable ses forces armées de 50 000 à 80 000 hommes. Certes l’antagonisme anti-russe de la Suède est historique mais un budget défense porté pour un petit pays de 10 millions d’habitants à 8 milliards d’euros et qui envisage de rentrer dans l’Otan n’a rien d’anodin si ce n’est de vouloir se préparer matériellement à une confrontation armée avec le « grand méchant russe ». L’île de Gotland, face à l’enclave russe de Kaliningrad est en train de devenir une véritable forteresse armée et base militaire pro-américaine.

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Quel est en effet le problème de défense suédois qui justifierait une telle augmentation budgétaire ? La Suède a parlé officiellement de « défense totale » et effectivement, il ne faut pas non plus négliger la gestion de la sécurité intérieure, la Suède payant maintenant par des troubles intérieurs, des rivalités de bande, les conséquences néfastes de son laxisme migratoire mais est-ce suffisant pour expliquer la reprise comme dans les années 40 d’une remilitarisation conséquente  de la Suède ? N’y a-t-il pas en effet quelque chose d’autre derrière ?

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Pour justifier son programme de réarmement, la Suède a avancé le projet de pouvoir résister plus de trois mois à une attaque directe ? Mais d’où pourrait donc bien provenir cette attaque si ce n’est du voisin russe ? La société civile suédoise est certes disloquée et commence à être déchirée par des conflits ethnico-confessionnels mais pas au point de justifier un tel renforcement sécuritaire. Il faut donc en chercher ailleurs les raisons et on est bien forcé alors de se tourner vers l’Arctique et la proposition pas si boutade que cela de Donald Trump d’acheter le Groenland.

La Suède dans l’Otan ? On est toujours plus fort à plusieurs que tout seul et l’allié naturel est l’allié américain. Les pays nordiques, Suède, Norvège et Finlande vont sans doute être appelés lors du mandat Biden à se repositionner et à constituer un nouvel axe de défense, un épouvantail contre la Russie. De nombreuses manœuvres américaines avec la Pologne ont lieu régulièrement dans cette région glaciale du monde et la Russie est en train de consolider ses positions en Arctique y ayant même envoyé une centrale nucléaire mobile pour les alimenter, centrale ayant d’ailleurs eu quelques soucis sérieux justifiant son rapatriement récent pour réparation au port de St Petersburg ces derniers jours.

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Washington est d’ailleurs en passe de déployer des bombardiers stratégiques B1-B Lancer dans l’ouest de la Norvège et c’est la première fois que l’armée de l’air américaine va stationner un certain nombre de bombardiers stratégiques sur sa base aérienne à l’ouest de la Norvège. Cette initiative américaine est due à l’importance croissante de la région Arctique dans la stratégie militaire. Plus de 200 membres de l’armée de l’air de la base aérienne de Dyess, au Texas, devraient arriver à la base aérienne d’Orland avec un escadron expéditionnaire de bombardiers B1-B Lancer pour soutenir les missions éventuelles contre la Russie et la Chine dans la région, a déclaré le Commandement américain en Europe dans un communiqué. Ce dernier n’a pour autant pas précisé quand les bombardiers B1-B Lancer arriveraient ou combien de temps ils resteraient à Orland, une base sur la côte ouest du pays où la Force aérienne royale norvégienne exploite une flotte d’avions de combat F-35A Lightning II. Il est ainsi très clair que l’US Air Force a maintenant dévoilé clairement sa stratégie dans l’Arctique : elle vise à renforcer sa présence dans la région et à contrer les menaces de la Russie et de la Chine.

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ROCKWELL B1 – LANCER

La permanence de la question ukrainienne dans la géopolitique états-unienne

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La stratégie d’endiguement et de démantèlement de la fédération de Russie a été actualisée par Zbigniew Brzezinski (1928-2017), dans son livre qui commence d’ailleurs à dater Le grand échiquier : L’Amérique et le reste du monde (1997). Exposant sa vision de la géopolitique américaine en Europe et en Russie, rappelons que Brzezinski écrivait : « Indépendamment l’une de l’autre, la France et l’Allemagne ne sont assez fortes ni pour construire l’Europe selon leurs vues propres, ni pour lever les ambiguïtés inhérentes à la définition des limites de l’Europe, cause de tensions avec la Russie. Cela exige une implication énergique et déterminée de l’Amérique pour aider à la définition de ces limites, en particulier avec les Allemands, et pour régler des problèmes sensibles, surtout pour la Russie, tels que le statut souhaitable dans le système européen des républiques baltes et de l’Ukraine… » 

La position agressive des dirigeants européens contre la Russie dans l’affaire ukrainienne est révélatrice de la stratégie géopolitique américaine et de l’instrumentalisation de l’Union européenne et de l’OTAN pour étendre son hégémonie ; ce que Brzezinski ne cachait pas lorsqu’il préconisait de sortir l’Ukraine de la sphère d’influence russe afin de l’affaiblir : « L’indépendance de l’Ukraine modifie la nature même de l’Etat russe. De ce seul fait, cette nouvelle case importante sur l’échiquier eurasien devient un pivot géopolitique. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie. »

La stratégie géopolitique de Brzezinski est un demi-succès : pour ce qui est de la domination du cœur de l’Europe par la soumission totale de la France et de l’Allemagne, c’est chose faite (quoique l’Allemagne commence à faire montre d’une certaine velléité d’indépendance), mais quant à l’éclatement de la Russie en provinces, permettant aux Américains de contrôler toute l’Eurasie et d’en extraire les richesses, c’est un échec en raison de l’habileté politique poutinienne. Les rêves de domination états-uniens se sont brisés sur le mur du nouveau tsar russe.

Mais les discours récents de l’Administration Biden montrent que les Américains n’ont absolument pas abandonné leur projet de séparer l’Ukraine de la Russie et ils ne cessent d’ailleurs depuis quelque temps de ramener sur le tapis la question de Crimée qu’ils savent pourtant non négociable avec la Russie puisque les Américains ont perdu la guerre en Syrie, que Poutine les a tenu là-bas et a réussi à tirer avantage de la politique occidentale en Ukraine, par le retour spectaculaire de la Crimée dans la maison russe (mars 2014).

Un nouveau départ en Syrie ?

Or, selon la Voix de l’Amérique, l’administration Biden a décidé de construire une nouvelle base militaire en Syrie occupée. Le 6 février 2021, une cinquantaine de camions serait arrivée à Hassaké avec du matériel pour commencer la construction de cette « base ».

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Durant le mandat Trump, la Maison-Blanche avait ordonné le retrait de toutes les troupes US de Syrie où elles stationnaient illégalement. Le Pentagone et la CIA avec la complicité de l’envoyé spécial du président, James Jeffrey, avaient alors demandé des délais, puis avait prétendu devoir laisser quelques troupes pour prévenir un retour de Daesh. En réalité, des mercenaires kurdes exploitaient des puits de pétrole avec une société US. Les profits étaient répartis entre d’une part ces mercenaires et d’autre part la caisse noire de la CIA qui permet de financer des opérations secrètes dans d’autres région du monde sans contrôle du Congrès. Aujourd’hui, l’administration Biden renforce donc bien quasi officiellement la présence militaire US en Syrie, en violation du droit international et des résolutions des Nations unies. Elle entend ainsi à la fois faire pression sur la Russie et sur les Gardiens de la Révolution iraniens de manière à reprendre la stratégie Rumsfeld / Cebrowski, celle des guerres sans fin débutées au Moyen-Orient élargi par les présidents George W. Bush et Barack Obama, mais interrompues par l’administration Trump. Significatif le fait que le nouveau secrétaire à la Défense, le général Lloyd Austin, ait déjà supervisé toutes les guerres du Moyen-Orient élargi —dont celle en Syrie— à la fin du mandat de Barack Obama. C’est lui qui avait mis en place le fameux programme à 500 millions de dollars pour former les « rebelles » syriens où il s’avéra qu’il ne trouva aucun rebelle et ne forma que « quatre ou cinq » soldats selon ses propres dires devant le Sénat.

Cette semaine, l’armée américaine a annoncé avoir gelé l’ordre de Donald Trump de retirer 12 000 soldats d’Allemagne. Le nouveau chef du Pentagone Lloyd Austin entend ainsi réévaluer la décision, avant de soumettre ses recommandations à l’administration Biden. Dans une allocution d’une vingtaine de minutes, le président américain, Joe Biden, a cherché à dire au monde que sa diplomatie serait une vaste remise à plat de celle de Donald Trump et que son ambition était de redonner aux Etats-Unis leur place de leader mondial. A commencer par une condamnation ferme des agissements de Moscou et un changement de ton moins conciliant avec les Russes : « J’ai dit clairement au président Poutine (…) que le temps où les Etats-Unis capitulaient devant les agressions de la Russie (…) était révolu. » Joe Biden a prévenu que la rivalité entre Washington et Pékin prendrait la forme d’une « compétition extrême », (donc d’une guerre économique) tout en assurant qu’il voulait éviter un « conflit » (que l’Amérique serait incapable de remporter) dans un entretien diffusé sur CBS. Le président américain a ajouté que son homologue, Xi Jinping, n’avait « pas une once de démocratie en lui ».

L’excellence militaire russe

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En tout cas, la Russie – et nous reviendrons sur la Chine plus tard – ne baisse pas les bras y compris dans le choix très professionnel de ses chefs. Alors que sa gestion du mouvement pro-Alexeï Navalny accapare l’attention, le Kremlin réfléchit à fond en ce moment à ses nouveaux piliers sécuritaires et militaires. D’après nos informations, le Kremlin songerait par exemple à remplacer très prochainement Valeri Guerassimov, 65 ans, le chef d’état-major de l’armée russe depuis 2012. Cette possibilité se fait jour depuis que le haut gradé a été nommé, à la fin de l’année dernière, président de l’Académie des Sciences Militaires, un poste qui fait figure de point de chute honorifique et prestigieux pour un général qui incarne le renouveau des forces russes. Selon nos sources, Alexandre Dvornikov, 59 ans, serait le mieux placé dans la course à la succession. Natif d’Extrême- Orient, il commandait le contingent russe en Syrie au début de l’intervention militaire de Moscou en septembre 2015 et a reçu en propre des mains du président Vladimir Poutine le titre de « Héros de la Russie » au terme de sa mission en 2016. A la tête de la turbulente région militaire Sud, le général Dvornikov a été sanctionné par l’Union européenne (UE) en 2019 pour son rôle présumé dans l’arraisonnement d’un bâtiment militaire ukrainien dans le détroit de Kertch, fin 2018. 

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GAL DVORNIKOV

Outre cette évolution à la tête des armées, le Kremlin commence à renouveler les générations dans les structures de sécurité. Par exemple, le nom du gouverneur de Toula, Alexeï Dioumine, ex-garde du corps de Vladimir Poutine, commence à circuler pour prendre la tête du service de sécurité, le FSB, à l’automne prochain, après les législatives de septembre. Fidèle parmi les fidèles de Vladimir Poutine, l’actuel directeur du FSB, Alexandre Bortnikov, en poste depuis mai 2008, sera alors atteint par l’âge limite. Plus bas dans la hiérarchie, d’autres jeunes généraux incarnent la relève et semblent promis à des postes plus importants dans les mois à venir. Ce changement de génération dans les structures étatiques est accompagné par le même phénomène dans les grands groupes de défense et d’énergie qui dépendent des commandes de l’Etat, où les fils d’oligarques commencent à prendre le pouvoir.

En complément : http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2016/09/14/la-suede-precipite-la-remilitarisation-de-l-ile-de-gotland-16777.html

Militaire suédois en manoeuvre