Barkhane en question

par Michel LHOMME

Cinq morts en quelques jours, la France va « très probablement » être conduite à réduire les effectifs de sa force anti-djihadiste Barkhane au Sahel.

« Nous serons très probablement amenés à ajuster ce dispositif : un renfort par définition, c’est temporaire », a d’ailleurs déclaré Florence Parly dans une interview au quotidien Le Parisien alors qu’il y a quelques mois, elle renforçait de 600 soldats les effectifs de Barkhane les portant à 5.100 hommes en 2020. Une décision devrait être prise à l’occasion du prochain sommet conjoint de la France et des pays du G5 Sahel, prévu en février à N’djamena.

En 2020, la force Barkhane a pourtant remporté de vrais succès militaires en neutralisant plusieurs hauts responsables de groupes terroristes et en attaquant leurs chaînes logistiques

Le leader d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), l’Algérien Abdelmalek Droukdal, a été tué dans le nord du Mali en juin. La France a aussi annoncé la « neutralisation » en novembre de Bah Ag Moussa, décrit comme le « chef militaire » du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda.

Les cinq soldats ont été tués alors qu’ils circulaient dans des « VBL », des véhicules blindés légers dont il faut bien dire qu’ils sont de conception vétuste. La protection réelle des militaires laisse vraiment à désirer.

La ministre a de nouveau exclu toute négociation « avec des groupes terroristes comme Al-Qaïda ou Daech, qui assassinent de manière aveugle et ont du sang sur les mains » tout en affirmant que la porte restait ouverte pour « des gens qui ont déposé les armes et qui ne sont pas motivés par une idéologie radicale et criminelle ». Elle leur demande de se rallier aux accords de paix d’Alger discutables de 2015.

Or, on sait que face à la persistance des violences djihadistes, doublées de conflits intercommunautaires, les autorités de transition au Mali n’excluent pas d’engager des négociations avec des groupes armés, tout comme auparavant le président Ibrahim Boubacar Keïta, renversé par un putsch en août.

Mais que s’est-il réellement passé dimanche près de Douentza, dans le centre du Mali en pleine tourmente sécuritaire ?

L’armée française dit que ses avions ont éliminé des dizaines de jihadistes tandis que des villageois rapportent la mort de plusieurs civils dans la frappe d’un hélicoptère non-identifié.
Les messages ont proliféré sur les réseaux sociaux depuis dimanche sur les évènements survenus dans le village de Bounti, dans ce centre malien qui est l’un des principaux foyers de violence au Sahel.Le silence observé par les autorités maliennes et par la force antijihadiste française Barkhane a laissé le champ libre à un flot de spéculations, difficilement vérifiables dans une zone éloignée dont l’accès est rendu très compliqué par la forte présence des jihadistes. Il n’y a guère que l’armée nationale et Barkhane pour opérer offensivement dans le ciel malien.

Tabital Pulakuu, une association pour la promotion de la culture de l’ethnie peule, a fait état la première d’une « frappe aérienne (ayant) coûté la vie à une vingtaine de personnes civiles au moins » au cours d’un mariage. Des témoignages de villageois recueillis par l’AFP ont accrédité ce récit. L’armée française a fini par s’exprimer mardi. Dimanche, a dit l’état-major français à l’AFP, une patrouille d’avions de chasse a frappé à l’ouest d’Hombori (donc dans le même secteur) un rassemblement de jihadistes préalablement repérés après une opération de renseignement de plusieurs jours. Elle a « neutralisé » plusieurs dizaines d’entre eux, a-t-il ajouté par euphémisme. Le comportement des individus, leur équipement et le recoupement du renseignement excluent autre chose qu’un rassemblement jihadiste comme Barkhane en frappe régulièrement, a-t-il dit. « Il ne peut y avoir de doute et d’ambiguïté: il n’y avait pas de mariage », a assuré un responsable militaire français. Des villageois joints sur place livrent une autre version. Elle diffère à ce point et l’indigence d’informations est telle que, parmi de multiples conjectures, l’hypothèse d’évènements concomitants dans le même secteur reste le plus probable comme un dégât collatéral.

Sollicitées à maintes reprises, les autorités maliennes dominées par les militaires depuis le putsch du 18 août sont restées silencieuses.
La force des Nations unies (Minusma) a affirmé qu’elle n’était « pas impliquée dans les évènements survenus récemment dans la zone de Bounti ». « La division des droits de l’Homme de la Minusma a initié une enquête », a indiqué un porte-parole.

En tout cas, les faits survenus à Bounti marquent une nouvelle fois l’enlisement dans lequel nous nous trouvons et manifeste l’âpreté du théâtre sahélien.

La région de Mopti, où se trouve Bounti, à quelque 600 kilomètres de Bamako, est l’un des principaux foyers des violences parties du nord en 2012. Depuis que les groupes armés, à commencer par celui de l’imam radical peul Amadou Koufa affilié à Al-Qaïda, y ont pris pied en 2015 le centre est le théâtre d’exactions de toutes sortes: attaques contre le peu qu’il reste de l’Etat, massacres, représailles et actes crapuleux. Les violences ont pris un caractère communautaire accru, surtout entre Dogons et Peuls, souvent assimilés aux jihadistes. A ces violences s’ajoutent les exactions des forces de sécurité maliennes contre les civils.

100 morts dans les attaques de deux villages au Niger

Cent personnes ont été tuées au Niger, qui est en pleine élection présidentielle, dans l’attaque de deux villages de l’ouest, un des pires massacres de civils dans ce pays mais aussi pour tout le Sahel régulièrement visé par des groupes jihadistes.

L’attaque, qui n’a pas été revendiquée, a été perpétrée par des terroristes venus à bord d’une centaine de motos. Pour attaquer les deux villages (distants de 7 kilomètres), les assaillants se sont divisés en deux colonnes: pendant que l’une attaquait le village de Zaroumadareye, l’autre attaquait Tchoma Bangou.

Les deux villages sont situés à environ 120 kilomètres au nord de la capitale Niamey, dans la région de Tillabéri, frontalière du Mali et du Burkina Faso. Cette région dite « des trois frontières » est régulièrement visée depuis des années par les extrémistes musulmans. L’attaque a été commise en plein jour, vers midi, au même moment que la proclamation des résultats du premier tour de l’élection présidentielle du 27 décembre, donnant largement en tête (39,33%) le candidat du parti au pouvoir Mohamed Bazoum, ancien ministre de l’Intérieur qui a promis de renforcer la lutte contre les groupes jihadistes. Le Niger a organisé en décembre une série d’élections, d’abord municipales et régionales le 13 décembre, puis présidentielle et législatives couplées le 27 décembre. Le second tour de la présidentielle doit se dérouler le 20 février.

La région de Tillabéri est placée sous état d’urgence depuis 2017. Pour lutter contre les djihadistes, les autorités ont interdit en janvier 2020 la circulation à moto de jour comme de nuit et la fermeture de certains marchés. Pays parmi les plus pauvres du monde, le Niger lutte depuis des années contre des groupes jihadistes sahéliens dans sa partie occidentale et les islamistes du groupe nigérian Boko Haram dans le sud-est, sans parvenir à les vaincre, malgré la coopération régionale et l’aide militaire occidentale. 

L’armée nigérienne avait subi dans l’ouest deux défaites désastreuses il y a un an, contre les camps militaires d’Inates (71 morts fin 2019), et Chinégodar (89 morts début 2020).

Les attaques jihadistes à l’ouest et au sud-est ont fait des centaines de morts depuis 2010, et fait fuir de leurs foyers environ 500.000 réfugiés et déplacés (dont 160.000 dans l’ouest), selon l’ONU.

En complément : http://geopragma.fr/repenser-notre-strategie-au-sahel/