QUE RETENIR DE L’ARTSAKH (LA GUERRE DU HAUT-KARABAKH) ?

Par Michel LHOMME

Le 10 novembre 2020, l’Azerbaïdjan et l’Arménie signaient sous l’égide de la Russie un accord mettant fin aux hostilités dans le Haut (ou Nagorno) — Karabakh. Après six semaines de guerre, l’Azerbaïdjan reprenait le contrôle des sept districts peuplés d’Azéris et de Kurdes qui étaient occupés par les Arméniens depuis 1994. Elle recevait également le droit de maintenir ses forces armées dans les territoires conquis, dont le district de Chouchi qui commande le corridor étroit de Lachine entre l’Artsakh, selon l’appellation arménienne du Nagorno-Karabakh, (que bien sûr nous privilégions) et l’Arménie. Elle obtenait enfin un accès libre à travers le territoire de l’Arménie jusqu’au Nakhitchevan, son enclave jouxtant la frontière avec l’Iran. La Russie s’engageait de son côté à déployer 2 000 soldats sur place dans une mission d’interposition et de maintien de la paix. Si l’Artsakh survivait comme entité politique au statut des plus flous, son existence était largement menacée à terme et de fait, depuis l’accord, règne dans tout le territoire une véritable terreur anti-chrétienne avec incendies de maisons, spoliations de biens, profanations de cimetières et incendies d’églises. Les « Arméniens » fuient en masse le territoire dorénavant marqué au fer de l’Islam des territoires conquis.  Déjà avant même la guerre, ce qui frappait en Artsakh, c’est l’état d’abandon des maisons et des routes, l’extrême pauvreté de la population locale (Cf Présent du 12 septembre 2020, p.11).   

L’accord du 10 novembre consacre donc la victoire de l’Azerbaïdjan, 26 ans après le désastre de la guerre perdue contre l’Arménie, par ricochet une nouvelle victoire de l’Islam en Europe et de la Turquie. Cela sent donc l’abandon en rase campagne puisque personne en Europe que ce soit le Vatican, l’UE ou la France, traditionnellement allié des Arméniens, et officiellement coprésidente du Groupe de dialogue de Minsk, n’est venu prêter main forte à l’Artsakh.

Revenons donc sur les faits peu commentés en France occupés par le covidisme, l’idéologie médiatique de la dictature.

D’abord, le déclenchement de la guerre fut unilatéral, une décision prise seule par le gouvernement azerbaïdjanais qui a dû penser que vu la situation internationale (coronavirus, élections américaines, situation au Liban et en Iran), une fenêtre de tir était ouverte par la revanche et que personne ne l’arrêterait. La décision s’est avérée payante.

De plus, il est vrai que la communauté internationale n’a jamais reconnu la République auto-proclamée du Haut-Karabagh, et plutôt soutenu la position de l’Azerbaïdjan. D’ailleurs, en 2007, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui avait tenté  de normaliser la situation dans la région avait posé la restitution de l’Artsakh à l’Azerbaïdjan comme un préalable nécessaire à la paix. En face, l’Artsakh et son protecteur arménien ont toujours fait preuve d’intransigeance, arguant de la nécessaire sécurité de ce glacis, et persuadés de toute manière de leur supériorité militaire. (https://www.lorientlejour.com/article/1242147/les-raisons-de-la-defaite-armenienne-dans-le-haut-karabakh.html ).

Bien évidemment, l’Azerbaïdjan entre temps n’est pas resté les bras croisés et de 2009 à 2018 a consacré plus 24 milliards de dollars de 2009 à 2018 à sa Défense (https://fmes-france.org/nagorno-karabakh-nouveau-front-turc-face-a-la-russie-par-pierre-razoux/). L’Azerbaïdjan est ainsi devenu le 9e pays au monde en termes d’effort de défense rapporté au PIB (drones achetés à Israël et à la Turquie, achats classiques d’engins blindés modernes) et puis, et c’est peut-être l’essentiel, l’armée azerbaïdjanaise a reçu une formation militaire et un encadrement strict par les Turcs.

En face, l’Arménie, disons le, s’était endormi, persuadée de la supériorité qualitative de leurs forces et de celles de l’Artsakh mais surtout convaincue à tort finalement que la Russie en cas de coup dur viendrait forcément la sauver (cf. la grande base russe de Gyumin). Ce ne fut pas le cas.

Que s’est-il réellement passé avec la Russie ?

D’abord, la Russie n’appréciait pas du tout le nouveau régime arménien issu de la révolution de 2018 et pour la Russie, la vengeance est un plat qui se mange froid. Elle a donc mis clairement les cartes sur la table en laissant clairement entendre qu’elle défendrait le territoire de l’Arménie si celui-ci était agressé, mais qu’elle ne combattrait pas pour l’Artsakh.  Cette posture qu’on pourrait qualifier d’«allié captif »  a été le « feu vert » pour l’Azerbaïdjan mais en même temps, c’est aussi la Russie qui a été le seul interlocuteur à pouvoir négocier la paix. Il est même possible selon certains que la Russie ait imposé la paix à l’Azerbaïdjan en menaçant d’intervenir. Elle est en tout cas devenue le nouveau protecteur de ce qui reste de l’Artsakh et il n’en reste franchement plus grand chose.

Le gouvernement arménien a annoncé la mort de 2 425 hommes, dans les forces de l’Artsakh et les siennes, une proportion considérable des troupes engagées, ce qui témoigne de leur courage comme de la violence des combats. Du côté azéri, le président de l’Azerbaïdjan a parlé de 1 500 martyrs, c’est peut-être sous-estimé, mais on est très loin des 20 000 morts de la première guerre, certes beaucoup plus longue. Les Arméniens vu la violence de l’attaque azerbaidjanaise ont toujours eu l’espoir de finir par provoquer une intervention russe, mais les Russes ne bougèrent pas, même quand le 14 octobre des tirs azéris ont frappé des emplacements de lanceurs russes sur le sol de l’Arménie ou quand les Azéris ont abattu par erreur un hélicoptère russe.

Dans l’ensemble, cependant et si les chiffres sont contestés de part et d’autre, les pertes civiles totales sont estimées à environ 50 morts du côté arménien et 90 morts du côté azéri du fait des frappes à distance. Un chiffre finalement assez faible pour une guerre de haute intensité de 44 jours, à comparer par exemple aux 500 morts des 78 jours de campagne aérienne de l’OTAN au Kosovo et en Serbie en 1999 ou au millier de morts de la campagne aérienne américaine en Afghanistan d’octobre à mi-décembre 2001. Dans le conflit du Nagorno-Karabakh, on a fait endosser le risque aux soldats sans le transférer aux civils dans une petite guerre clausewitzienne somme toute classique.

Rappelons enfin que la chrétienté est indissociable de l’identité de l’Artsakh et pour l’archevêque apostolique d’Artsakh, Mgr Martirosyan : « Vous êtes ici sur la ligne de front [Chrétiens / Islam] :

nous constituons le dernier rempart ». Cette région chrétienne s’était émancipée, au moment de la dislocation de l’URSS, de la République socialiste d’Azerbaïdzan à laquelle elle avait été annexée arbitrairement par Staline.

A étonné le silence effrayant autour de l’Arménie en France même s’il faut saluer ici – et ô combien ! – ces quelques français engagés qui se sont rendus là-bas pour combattre auprès des forces arméniennes et encore plus, la sidérante non maîtrise de la géopolitique locale par nombre de commentateurs. Quid du jeu de la Turquie soutenu par derrière par Israël (qui lui a fourni ses drones), quid de l’attitude pour le moins particulière, un jeu peu clair mais un jeu indéniablement habile, tout en précautions et  sans intervention directe. Une fois de plus, la Russie sort selon nous gagnante en termes de localisation de puissance même si Poutine a essuyé quelques critiques internes. Comme on l’a dit plus haut, on ne peut que sourire avec lui au fait qu’il s’est payé avec brio la trahison arménienne de 2018, le rapprochement occidental de l’Arménie. Territoires perdus / territoires conquis, c’est la logique de la guerre et donc aussi pour les Russes défenseurs de la chrétienté, un recul qu’il digère mal, les frères en Christ contre l’Islam. A se demander ce qui arriverait en interne en Russie si le conflit turco-grec prenait une tournure plus martiale. On aura noté aussi que la solidarité interne de la diaspora arménienne n’aura pas suffi et que dans notre pays, Devedjian et Aznavour sont sans doute morts trop tôt !

Pour ceux qui voudraient revenir sur le détail des opérations strictement militaires de l’Artsakh, en particulier l’usage très particulier des drones qui a été fait sur le théâtre d’opérations, nous renvoyons au texte excellent comme toujours du colonel Michel Goya :https://lavoiedelepee.blogspot.com/

Il note ironiquement sans doute pour conclure qu’il serait intéressant de simuler une situation militaire où les forces françaises qui ont désormais moins de moyens que celles de l’Azerbaïdjan, 76e puissance mondiale, se seraient retrouvées à la place des Arméniens !