IL EST MINUIT… POUR L’ALTERNANCE

par Franck BULEUX

Dans un hôpital local du Gabon, en pleine brousse, un homme joue du piano. Nous sommes en plein été 1914, la guerre gronde. Une voix vient l’interrompre. « Il est minuit, docteur Schweitzer », ce bon médecin colonisateur proche des populations indigènes. Marie, son assistante, rappelle au chirurgien la nécessité de prendre du repos. Mais ce n’est jamais, pour ce protestant français, le temps du repos car déjà monte de la nuit le message d’un tam-tam : on apporte un enfant malade à N’Tchinda, au cœur du continent africain.

Il y a 50 ans, la mort du Docteur Schweitzer l'apôtre de Lambaréné

Durant l’été 1963, une rumeur se répand : le général de Gaulle a l’intention d’avancer au printemps 1964 les premières élections présidentielles au suffrage universel direct, théoriquement prévues pour décembre 1965. La gauche non communiste, ce Front républicain composé des radicaux et des socialistes, eux-mêmes divisés en chapelles, doit-elle présenter un candidat, et le cas échant, lequel ? La question se pose d’autant plus que les formations partisanes de gauche et du centre restent très majoritairement opposées à la réforme constitutionnelle issue du référendum du 28 octobre 1962, qui a mis en place, pour longtemps, le mode électif du chef de l’État. Le secrétaire général de la SFIO, le parti socialiste d’alors, Guy Mollet, se prononce même pour un candidat apolitique, lançant le nom du docteur Schweitzer. Il était probablement minuit.

On connaît la fin de l’histoire : pour la première, il n’y a plus de « bons » colonisateurs, c’est ainsi, même le docteur Schweitzer et pour la seconde, François Mitterrand sera le candidat de l’union des gauches avec près d’un tiers des suffrages exprimés au premier tour et 45 % au second face au général de Gaulle qui, en 2020, fait -a priori- l’unanimité. Ce qui n’était pas le cas à l’époque puisque ses opposants, de 45 %, passèrent à 53 % lors du référendum de 1969 qui permit son départ.

Pourquoi ces deux anecdotes, quasi historiques concernant le « bon » docteur Schweitzer ? Parce qu’elles illustrent, en quelques lignes, les changements de paradigme, en à peine une vie humaine, sur la colonisation comme apport à la civilisation et sur de Gaulle, comme diviseur des Français.

Au-delà de ces deux histoires, en 2020 aussi, il est minuit…

Minuit, car Emmanuel Macron attend, surfant sur la crise sanitaire et l’implosion de la droite, tranquillement 2022. La rentrée 2020, au lieu de nous proposer un M. ou une Mme X contre Macron, va nous présenter un homme conquérant, revêtu d’une toge européenne, représentant la victoire d’une négociation sur la détermination d’une « dette commune » et d’un bouclier nous présentant l’homme du Touquet (où il se fera photographier en août, forcément car le Pas-de-Calais a une tendance à élire des représentants issus du RN) comme le premier combattant contre la Covid-19.

Minuit, car la France a besoin d’incarnation permanente dans un leader. Macron, par son mandat et son dynamisme (il est né en 1977) représente, pour la France des « gros » (comme aurait dit, en son temps, Pierre Poujade), celui qui agit.

Minuit, car il est temps, dans le cas où la défaite de Macron serait une hypothèse, de définir un vote-recours, autre qu’un vote écologique qui ne serait être que le choix des faux dissidents, les parangons du « politiquement correct », les inquisiteurs modernes, les candidats des médias.

Dans le cas où la victoire de Macron serait plus qu’une hypothèse mais une quasi-certitude : à droite, pour lutter contre le retour des gauches, emmenées par les Verts ; à gauche, pour éviter l’élection de Marine Le Pen, il faut le dire. Ainsi, lorsque minuit sonnera, il sera largement temps de préparer 2027.