par Christian SOLEIL
Le luxe à la scandinave ? Pas facile à définir, mais après tout, le luxe ne l’a jamais été, ni là, ni ailleurs. Signe de civilisation, dépassement du règne animal, affirmation culturelle, le luxe est d’abord le signe du superflu. Comme le disait Voltaire : « Le luxe, une nécessité. » Du côté du petit Larousse : « Caractère de ce qui est coûteux, raffiné, somptueux. » Longtemps réservé à l’aristocratie, aux papes, aux rois, aux cours et à leur entourage, il s’est peu à peu démocratisé, passant d’un luxe de l’objet au XIXe siècle, à un luxe des créateurs à partir des années 1920 pour aboutir à un luxe de la médiatisation à partir des années 1980. Le jeu du marketing des grandes marques a fini par brouiller les cartes en rendant obsolète la distinction de Jean Castarède entre luxe inaccessible, intermédiaire et accessible.
Les rapports étroits entre luxe et rareté, puis luxe et qualité, luxe et mode (quand la tradition fait en partie place à l’innovation, réelle ou feinte), luxe et art (l’artiste et l’artisan ne sont pas toujours très éloignés et le luxe, dans sa version « inaccessible », frise depuis toujours l’art, dans la peinture, l’architecture, le design, jusqu’au concept récent d’artketing) rendent aussi de plus en plus floues les frontières entre ces domaines voisins.
Se pencher sur les codes du luxe dans une culture donnée, c’est donc en partie tenter de définir l’identité de cette culture. Dans une période de démondialisation relative, où remontent certaines valeurs « relocalisées », en même temps que se font sentir des relents nationalistes, crispations identitaires liées à la peur du « sans-limite » et au retour des frontières comme planches de salut, réfléchir aux tendances du luxe, c’est souvent revenir à des concepts et des notions traditionnels ou modernes qui fondent la réalité d’un pays ou d’une zone du globe.
En ce qui concerne le luxe scandinave ; il faut au moins remonter à l’art viking tel que nous le présentent les musées de Stockholm ou d’Oslo. Un art avant tout culturel et religieux, mais surtout purement ornemental. On décore tous les matériaux possibles et imaginables. Dans la culture de l’époque : ivoire de morse, pierre, métaux précieux, bois, accessoirement céramique mais cette dernière reste alors d’une esthétique assez pauvre.

L’art viking se caractérise par un mélange d’éléments ornementaux appartenant au répertoire de la tradition scandinave et de motifs provenant de répertoires étrangers. Les emprunts artistiques proviennent surtout des décors anglo-saxons et de l’art ornemental carolingien et ottonien, transmis grâce à de nombreux contacts favorisés, entre autres, par le commerce et les missionnaires de domaines culturels limitrophes. Cependant, l’art décoratif oriental n’a été que très peu copié en Scandinavie et l’art russe, byzantin ou slave, n’a pas eu d’échos particuliers sur l’évolution de l’art scandinave à l’âge viking.

Le répertoire de formes des styles vikings se compose de différentes sortes de motifs :
– Les motifs zoomorphes (essentiellement quadrupèdes, oiseaux et serpents), survivances de représentations animales autochtones antérieures, sont prédominants et fondamentaux.

– Les motifs géométriques (entrelacs, spirales) ont une fonction décorative accessoire, et sont cantonnés aux pourtours des représentations figurées ou sont un élément de remplissage à l’intérieur d’une composition.

– Les motif végétaux (vrilles, feuilles et palmettes), empruntés au répertoire anglo-saxon (la vigne) et au répertoire carolingien et ottonien (feuilles d’acanthe), ont également une fonction décorative accessoire.

Les représentations anthropomorphes sont isolées et n’ont pas de signification stylistique déterminante.

L’art viking continue aujourd’hui de diffuser ses motifs dans la culture scandinave et notamment dans les produits haut-de-gamme et de luxe, tant dans la mode que dans le mobilier par exemple. Les valeurs qui le caractérisent : sobriété, proximité avec la nature, transcendance, esprit de conquête (commerce, combats), conservent toute leur actualité. S’y ajoutent la qualité des matériaux bruts, la simplicité, l’utilité fonctionnelle. Le design scandinave conserve ce sens de l’ergonomie, du beau fondé sur l’utile.

L’art scandinave se développe en Scandinavie entre le début du VIIIe siècle et le milieu du XIIe siècle. Cette période correspond à la grande expansion outre-mer des peuples des rivages de la mer du Nord, les Vikings. On trouve des vestiges de leur activité en Norvège, en Suède, au Danemark, en Finlande, dans le nord de la France et surtout dans les îles Britanniques.
Cependant notre connaissance de l’art viking est très lacunaire : en effet, les œuvres précédant le XIe siècle ne nous sont parvenues qu’à travers de rares documents archéologiques. La sculpture sur bois exécutée avant le XIIe siècle n’a presque pas survécu, excepté dans les tombes royales du Vestfold en Norvège. Les tentures, les étoffes et l’architecture pré-chrétienne ont aussi presque entièrement disparu. L’observation de l’existence de différents styles repose donc surtout sur l’orfèvrerie, les pierres runiques (blocs de calcaire gravés) et les stèles trouvées dans les lieux de sépulture. L’orfèvrerie, souvent en argent, parfois en or, comporte des médaillons, pendentifs, épingles et boucles aux motifs d’entrelacs complexes, ainsi que des colliers tressés de fils d’argent, techniquement très aboutis.
L’art viking trouve son origine dans les ouvrages d’orfèvrerie du centre de la Suède, datant des VIIe et VIIIe siècles. On rencontre déjà les motifs animaux caractéristiques mais aussi des scènes mythologiques qui disparaîtront par la suite. À la fin du VIIIe siècle, apparaissent, sculptés sur des stèles, les premiers reliefs décrivant des scènes de la vie domestique, maritime et guerrière. Au IXe siècle, l’art viking semble atteindre une maturité dont témoigne la tombe d’Oseberg, près d’Oslo. Les chefs étaient souvent ensevelis dans un bateau viking de bois avec un matériel varié (épées, haches, traîneaux, chariots, lits, etc.) somptueusement décoré. À Oseberg, le vaisseau de la reine Åsa, d’une élégance extrême, équipé avec un luxe inouï et orné des habituelles sculptures animales aux formes sinueuses et entrelacées (chevaux, serpents, cygnes, dragons, etc.) révèle l’existence d’un art princier très original et d’une très haute tenue.

Les liaisons maritimes entre les deux rives de la mer du Nord provoquèrent à la fin du IXe siècle la naissance des styles anglo-scandinaves, au nombre de cinq. Le premier, style de Borre, définit les productions de la Norvège méridionale entre 840 et 980, caractérisées par des reliefs animaux et des décors de rubans. Le style de Jelling (870-1000) du nom du site funéraire royal dans le Jutland montre des animaux enrubannés qu’on retrouve sur les croix du Yorkshire dans les îles Britanniques. Le monument le plus étonnant de ce style est un bloc de granit pyramidal dont la première face porte des runes qui commémorent le roi Harald Blåtand et le baptême des Danois. La deuxième face comporte un monstre au milieu de volutes et de rubans et la troisième une crucifixion. Le style de Mammen (Jutland 960-1020) prolonge le précédent en faisant un emploi plus systématique des végétaux. Le style de Ringerike (980-1080) et celui des Urnes (1050-1150) dérivent du style de Mammen avec, pour le premier, des motifs de serpents et, pour le second, des animaux élancés surtout présents sur les portails d’églises de bois norvégiennes.

Il ne reste à peu près rien de l’architecture de bois de cette période. On sait seulement qu’entre 980 et 1030 environ, des ensembles utilitaires d’une grande régularité et d’une grande ampleur furent édifiés au Danemark, notamment à Fyrkat et Aggersborg dans le Jutland. L’architecture funéraire se résume à des tumuli de terre et des alignements de pierres dressées. La conversion au christianisme au xie siècle a apporté un renouveau. Il ne reste cependant que quelques églises de bois en Norvège, aux charpentes de poteaux verticaux et à la silhouette très élancée. Les portails et les façades sont ornés de décors d’entrelacs ou de scènes figurées d’un grand raffinement. L’art viking est bien sûr fondé sur l’artisanat. L’artiste n’existe guère : c’est l’objet qui est au centre, le matériau et la forme que lui donne le labeur humain. Vers le milieu du XIIe siècle, l’originalité artistique scandinave est étouffée par le triomphe de l’art roman.
Au-delà de ces racines anciennes, le deuxième axe fort d’influence du style scandinave dans le luxe local est ce qu’on a appelé le design scandinave. Plusieurs facteurs clefs ont façonné le design scandinave, parmi lesquels un bon nombre sont liés aux conditions environnementales. Les pays nordiques sont célèbres pour leurs longs mois dominés par l’obscurité, le froid et la neige, avec des belles saisons brèves, intenses et très lumineuses. De vastes zones sont montagneuses et couvertes de forêts. Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que le design scandinave soit très inspiré par la nature, au travers des formes, des matériaux ou des motifs ornementaux.

Pour survivre dans ces conditions inhospitalières, les Nordiques ont depuis toujours intégré l’idée qu’il fallait apprendre à tirer le maximum des ressources limitées. L’inutile et le gaspillage n’y ont pas leur place. Cette économie de moyen conditionne les objets du quotidien scandinave depuis bien avant l’apparition du fameux crédo du design moderniste – la forme doit obéir à la fonction.

Comme l’industrialisation est arrivée tardivement dans la région, l’artisanat traditionnel était resté vivant quand le design a pris son essor. Issu de cet artisanat, les précurseurs du design scandinave n’ont jamais laissé la machine prendre le pas sur le savoir-faire manuel et c’est au contact direct des matériaux qu’ils ont nourri leur imagination d’artiste.
Du fait des longs mois d’hiver, les maisons se doivent d’offrir une protection à la fois physique et moral et l’aspiration au bien-être intérieur a toujours été au cœur des préoccupations des designers. Sur ce point, le design scandinave s’écarte sensiblement de traditions plus austères, comme le Bauhaus très inspiré par l’univers industriel. Qu’elle s’exprime par le choix des matériaux, les couleurs, les matières ou les formes organiques, la chaleur humaine est toujours présente dans le design scandinave, même dans les versions les plus futuristes.
Un dernier facteur clef relève, non pas du climat physique, mais du climat moral, politique et social. Les société scandinaves sont traditionnellement inclusives et égalitaires, libérales et tolérantes. Le design y est considéré comme un moyen d’améliorer la vie quotidienne de tout un chacun, et non seulement d’une élite privilégiée. Cela explique la prévalence des objets simples, compréhensibles et bien faits au détriment d’un design plus ostentatoire et spectaculaire.

Le premier âge d’or du design scandinave s’étend des années 1930 jusqu’au début des années 1970. Ses pères fondateurs s’appellent Alvar Aalto, Arne Jacobsen, Borge Mogensen, Hans J. Wegner, Verner Panton, Poul Henningsen, Maija Isola, etc.
Ces précurseurs ont fourni le modèle et le corpus de valeurs sur lesquelles le nouveau design scandinave continue de s’appuyer aujourd’hui : durabilité, fonctionnalité, fiabilité, honnêteté – mais aussi des valeurs moins matérielles telles que simplicité, égalité, joie, audace, plaisir quotidien, visibles à travers les formes simples, graphiques et souvent colorées du nouveau design scandinave.

Les valeurs qui dominent dans le luxe scandinave d’aujourd’hui découlent très directement des influences traditionnelles et modernes. En clair, de la culture viking et du design de la première moitié du XXe siècle. Entre les deux perdure un artisanat rural qui innove peu. On travaille le bois ou d’autres matériaux naturels durant les longues soirées d’hiver.
Le premier critère ou la première valeur qui domine le style scandinave est le minimalisme : un esthétisme fonctionnel qui ne recherche ni le style vintage ni un avant-gardisme à tous crins mais s’inscrit dans une contemporanéité intermédiaire, une sorte de « voie du milieu ». Telle est la force scandinave. Les boutiques haut-de-gamme ressemblent à des musées d’art contemporain. On y pratique la rareté visuelle. Au détour d’un mur blanc immaculé, un produit est présenté, comme tombé du ciel. C’est un peu le contraire du luxe : ni profusion, ni ostentation, mais du fonctionnel, de l’utile, le superflu n’a plus vraiment court. Fini le rêve. On se prend en charge. On consomme citoyen, durable, exigeant. C’est le cas des jeans Acne Studios, le must des Scandinaves, avec ses flagship stores présents dans le monde entier signés par l’Anglais Max Lamb.
Les pays scandinaves, dans leur image contemporaine du luxe, tendent à inclure le caractère urbain. Mais un caractère urbain réactualisé, Ce sont désormais, depuis la Seconde Guerre mondiale de manière accélérée, les villes et non plus les campagnes qui fondent la culture scandinave. Ce sont les villes, cosmopolites à souhait, qui voient se confirmer le brassage culturel auquel les Vikings, de leur temps, sacrifiaient déjà à l’intégration de tendances étrangères.
S’il est une zone du globe où le luxe s’est largement démocratisé, mêlant ses codes à ceux du peuple, façonnant des univers empreints d’authenticité et d’honnêteté, c’est bien la Scandinavie. Authenticité et honnêteté : on retrouve ces concepts dans la culture locale, inspirée par un protestantisme exigeant, qui développe le sens de la responsabilité mais aussi une attention à l’autre proche de la notion de « société du care ». Le premier parlement du monde était islandais. L’égalité homme-femme avait atteint un niveau enviable dès les grands raids vikings, avant même l’an 1000. Les femmes pouvaient être chefs de tribus, prêtresses et elles partageaient les responsabilités sociales avec les hommes. L’honnêteté, sensible dans les négociations avec les Scandinaves, fait que le bluff méditerranéen n’y a pas sa place. On y joue cartes sur table. L’issue de la négociation est de fait plus rapide. De la même manière, les produits qui ont la cote sont les produits non maquillés, les produits sans logo, les produits utiles, fonctionnels, de qualité. Une dose d’esthétisme épuré peut très bien convenir au luxe à la scandinave. On est très proche des codes japonais : nature, simplicité, matériaux nobles, travail manuel, mélange de tradition dans les méthodes et de modernité dans les formes. Rien d’étonnant si Ikea est né en Suède.
Combien de marques dans le portefeuille Hennes et Mauritz (H&M) ? Après &Other Stories, Cheap Monday, Cos, Monki et Weekday, le groupe a annoncé l’arrivée d’Arket, d’emblée positionnée comme le label haut de gamme du géant suédois. Cette nouvelle griffe, installée à Londres dans Regent Street depuis août, cible les consommateurs qui sont soucieux de la qualité de leurs vêtements tout autant que de leur origine. Antidotes à la fast-fashion, toutes les pièces reprennent la simplicité, la fonctionnalité et le confort scandinave. « Il s’agit de démocratiser la qualité, de la rendre accessible », dit-on chez H&M. La fourchette de prix ? Entre 40 et 120 €. C’est également la première fois que le groupe propose un véritable concept-store, un peu à l’image d’Opening Ceremony. On y trouve ainsi d’autres marques, comme Adidas, Nike, etc., un vegan coffee et un restaurant scandinave. « Face à l’e-commerce, c’est un moyen attractif pour susciter l’envie des consommateurs de franchir la porte d’une boutique », commente-t-on encore chez H&M. Son potentiel ? Géant ! Après Londres, Arket s’installera à Bruxelles, à Copenhague, à Munich et à Stockholm.

Mais les codes culturels scandinaves ne se limitent pas au minimalisme. La notion de perfection, le sens du détail y sont aussi prégnants. On les retrouve notamment chez Bess Nielsen. Sa rigueur nordique s’interprète dans ses tracés et dans ses palettes colorielles subtiles et justes. Cette Danoise a cofondé Epice en 1999, avec Jan Machenhauer. Une marque qui évoque davantage les parfums de l’Inde que les rigueurs du Nord… Marque hors temps, hors modes, Epice a un pied à Paris, l’autre à Copenhague. « Au Danemark, les gens privilégient les couleurs comme un signe d’équilibre et d’énergie. Elles y vibrent différemment en raison d’un ciel bas et d’un hiver long et sombre. Les tonalités de nos produits sont les reflets des nuances de la Scandinavie », commente la créatrice qui, par son goût des voyages, a tissé des liens privilégiés avec des artisans indiens. C’est donc en Inde que ses pièces douces au toucher sont imprimées et tissées manuellement, dans de petits villages où Bess Nielsen soutient l’éducation des filles. Présente dans 500 points de vente répartis dans le monde – dont une centaine en France –, Epice élargit sa gamme avec des tee-shirts et signe sa première collaboration avec Uniqlo.

L’écologie est depuis longtemps un mouvement actif et démocratisé, lui aussi, dans les pays scandinaves. La nature est proche. Les villes restent de taille modeste. La densité de population est faible. Il s’agit donc de préserver les espaces naturels, la flore et la faune dont la richesse frappe la conscience scandinave. Question de géographie, question de tradition aussi : l’animal était jadis sacré. On ne le tuait pas dans des abattoirs mais avec le respect qui lui était dû, au cours de cérémonies rituelles.

Le marketing scandinave du luxe récupère donc avec sincérité les préoccupations écologiques en développant le concept d’eco-luxury. C’est le cas de la marque de mode Filippa K. Reducing, Repairing, Reusing et Recycling. Cette marque suédoise est l’une des chefs de file du mouvement eco-luxury scandinave. La notion de sustainability accompagne la créatrice à chaque étape. Toutes les matières sont sourcées, autant pour leur qualité de confort que pour leur origine éthique et bio. Vous ne voulez plus de votre pièce Filippa ? Echangez-la en boutique contre un escompte de 15 %. Le modèle sera remis à une association caritative ou revendu dans la boutique seconde main de la marque. Fondée en 1993 par Filippa Knutsson et Patrick Kihlborg, Filippa K a réalisé un chiffre d’affaires 2016 de plus de 70 M € et est distribuée dans 20 pays. Soit 700 points de vente, dont le Printemps en France, et 20 boutiques en propre.

On reste dans les valeurs écologiques avec Norrona, très ancrée dans la culture locale. Un premier de cordée présent sur le marché de l’outdoor.
Norrona, est l’une de ces marques scandinaves où chaque ligne porte le nom d’un fjord ou d’une montagne. Cette marque, a priori de niche, qui n’a aucun concurrent sur son segment de marché – hormis, peut-être, la canadienne Arc’teryx –, bénéficie d’une notoriété de 98 % chez les pratiquants d’outdoor et, grâce à ses valeurs écologiques, bascule doucement dans l’urbanité. Norrona a été fondée en 1929, à Oslo, par Jorgen Jorgensen et y a toujours son siège. Quand son arrière-petit- fils – qui porte le même nom – reprend les rênes de l’entreprise familiale en 2005, celle-ci n’a jamais franchi les frontières de la Norvège, où elle réalise un chiffre d’affaires de 12 M €. Aujourd’hui, il s’élève à 56 M €, dont la moitié est réalisée à l’export. Tout en cultivant son ADN (fonctionnalité, qualité et design), Jorgen Jorgensen a propulsé Norrona sur la scène internationale et en a fait un label en accord avec sa philosophie écologique. Chaque vêtement est garanti dix ans, et les collections ne sont renouvelées que tous les trois ans. D’ici à 2020, Norrona n’utilisera plus que des matériaux 100 % recyclés. La marque ambitionne aussi de convertir à l’écologie l’ensemble du secteur outdoor, qui revendique sa proximité avec la nature, mais qui reste, semble-t-il, encore trop peu sensible aux valeurs écologiques.
Adeptes de l’égalité, les scandinaves cherchent à la réaliser à travers leurs marques et notamment leurs marques de luxe. Les différences générationnelles, qui constituent, avec le vieillissement de la population et l’endettement des pays occidentaux, la rupture sociétale la plus porteuse, à terme, de conflits, sont aussi prises en compte par certaines marques. C’est notamment le cas de Our Legacy, marque trangénérationnelle.
Cette jeune marque suédoise est en train de conquérir les concept-stores du monde entier. Tout a commencé par une histoire d’amitié entre Jockum Hallin et Christopher Nying, deux des trois fondateurs, avec Richardos Klarén, qui ont d’ailleurs décidé d’inscrire leur date de naissance (1980 et 1981) sur les étiquettes de leurs pièces. « Nous avions juste envie de créer des vêtements naturels, qui durent dans le temps sans fatiguer les gens, une sorte d’héritage pour nos enfants », confie Jockum Hallin. C’est comme ça que ce label, sorte d’APC à la sauce scandinave, a vu le jour à Stockholm il y a douze ans, avec, pour commencer, une timide collection de tee-shirts. Aujourd’hui, la marque compte deux boutiques à Stockholm, une à Londres, deux à venir aux Etats-Unis et 250 points de vente dans le monde. L’hiver dernier, on assistait ainsi à la présentation d’une collaboration très californienne avec Vans. Ce printemps, Our Legacy nous étonnait avec Objects, une collection d’accessoires minimalistes chic entièrement produits en Italie, à Florence. Et demain ? « On est encore une petite société avec un chiffre d’affaires d’environ 7,5 M €, mais nous sommes en train de vivre un très bon moment. On veut continuer à progresser et à développer le retail, tout en gardant notre indépendance. Prochainement, on compte ouvrir une boutique à Los Angeles et une autre à New York. »
L’ouverture culturelle, l’emprunt raisonnable aux cultures étrangères, fait aussi partie de la tradition millénaire dans les pays scandinaves. Et quel est le pays le plus proche de la Suède, malgré les différences, sinon la France ? Après tout, le roi de Suède Jean-Baptiste Bernadotte n’était-il pas français ? Une marque symbolise bien ce pont franco-suédois, c’est Ron Dorff.

« Nous achetions notre sportwear aux Etats-Unis, mais il fallait toujours reprendre les tailles, qui n’étaient pas très seyantes, raconte Claus Lindorff, l’un des deux fondateurs. Du coup, en 2011, nous avons décidé, avec Jérôme Touron, de créer nos propres pièces. » Ron Dorff est donc l’abréviation de « Touron » et de « Lindorff ». Cinq ans plus tard, ce petit label a ouvert un nouveau segment de marché dont, bien sûr, il est le leader. Autour de la simplicité et de la fonctionnalité, valeurs scandinaves infusées d’un certain goût parisien pour le chic, leurs cinq basiques aux couleurs neutres et sans logo sont progressivement devenus des pièces fondamentales à porter toute l’année, qui ont ensuite été complétées par un vestiaire de sweatshirts, de joggings et de running-shirts, puis par une ligne féminine courte et des cosmétiques. Après une première boutique dans le quartier du Marais, à Paris, en 2013, Ron Dorff a ouvert un flagship de 200 m2 à Londres, deux ans plus tard, et se déploie progressivement à l’international avec 120 points de vente en Corée et au Japon. Les objectifs ? L’Allemagne, avec l’ouverture d’une boutique à Berlin, puis le marché américain, que les deux compères sensibilisent via un e-shop.

La marque Samsoe & Samsoe, elle aussi sensible aux influences extérieures, fait le choix de l’avant-garde Si la nouvelle vague des stylistes nordiques est désormais présente dans tous les prix internationaux, c’est en partie grâce à cette marque danoise, fondée en 1993, à Copenhague, par les frères Samsoe. Chaque saison, ils renouvellent le tailoring scandinave et le mixent à de multiples influences culturelles. Un style affirmé, bien en phase avec le goût des millennials. A l’approche de 2020, Samsoe & Samsoe fait référence à l’East End londonien et joue la carte de l’oversize. Aujourd’hui, la marque compte 2000 points de vente dans le monde (dont 45 boutiques en Europe du Nord), et réalise un chiffre d’affaires de 140 M €.

La marque se veut éternelle, c’est bien connu. Le publicitaire français Jacques Séguéla l’écrivait pour justifier son concept de charte créative fondée sur la star-stratégie : il fallait concevoir la marque selon la trilogie presque mystique physique / caractère / style qui avait fait florès à Hollywood pendant la grande époque, des années 1930 aux années 1960. Mais seule la marque était alors éternelle. On se dirigeait allègrement, à l’inverse, vers des produits éphémères, euthanasiés par l’obsolescence programmée.
Le dimanche, dans son garage, Anton Sandqvist bricolait de vieux vélos qu’il enfourchait pour sillonner les forêts suédoises. Mais il lui manquait quelque chose : un sac. Un sac ergonomique, fonctionnel, solide et léger qui n’entraverait pas sa course… Il achète alors une machine à coudre d’occasion et s’en confectionne un. Le sac d’Anton Sandqvist ne passe pas inaperçu. Très vite, d’ailleurs, le jeune ingénieur en fait fabriquer une centaine d’exemplaires dans une petite manufacture d’Estonie, qu’il part vendre à vélo dans les boutiques de Södermalm. Deux ans plus tard, en 2006, il crée Sandqvist avec son frère Daniel et leur ami, Sebastian Westin. La marque est aujourd’hui distribuée dans 38 pays et 600 points de vente, qui réalisent un chiffre d’affaires de 80 M € par an. « Notre volonté a toujours été de créer des produits inusables, mais il arrive parfois qu’on s’en lasse. Pourquoi jeter ? D’autant qu’en Suède, sur les 13 kg de textile consommés par personne chaque année, seuls 3 kg sont recyclés », commente Sebastian Westin. D’où l’idée de donner une nouvelle vie à un vieux sac et de réduire la charge environnementale. Depuis 2017, tous les points de vente ont un corner Sandqvist Repair Shop. On vient y faire réparer son sac abîmé ou l’échanger contre un à-valoir de 20 % si on n’en veut plus. Auquel cas le sac est remis en état pour être vendu en seconde main ou entièrement démonté. Ses pièces seront alors réutilisées pour un nouveau sac. Lequel s’imprègne ainsi d’un supplément d’âme…

Le goût de l’artisanal et du « fait main » demeure l’un des grands classiques du luxe à la scandinave. C’est le leitmotiv de Stutterheim, expert ès gouttes de pluie. Il a dû falloir une sacrée pratique de la pluie à Alexander Stutterheim pour imaginer sa ligne d’imperméables ! Un label qui buzze autant à New York qu’à Milan, via des corners chez Barneys, Dover Street Market, Isetan, etc., soit une centaine de points de vente et deux boutiques (Stockholm et New York). C’est en 2010 qu’il a l’idée de revisiter le ciré de pêcheur que portait son grand-père, dans les années 60. La ligne est courte, essentielle, et chaque pièce est réalisée 100 % à la main. Un artisanat qui flirte avec un luxe à la française ou à l’italienne, car l’homme est allé jusqu’à faire fabriquer différents cotons caoutchoutés afin de répondre à chaque type de pluie. Last but not least : il utilise un procédé de couture doublement soudé, qui garde au sec même sous les pires conditions météo. Un talent et des qualités qui n’ont pas échappé à Marni, avec qui Stutterheim s’est associé pour sortir une collection capsule très attendue.
