Par Yves MONTENAY
Pourquoi je pense qu’on ne pourra malheureusement pas empêcher l’absorption de Hong Kong par la Chine et quelles en seront les conséquences probables pour la région.
Que se passe-t-il à Hong Kong ?
La Chine vient d’adopter une loi permettant de réprimer à Hong Kong tout ce qui est plus ou moins lié au séparatisme, rédigée de manière suffisamment vague pour que cela s’applique à tout ce qui lui déplairait.
Théoriquement, c’est au parlement de Hong Kong de légiférer. Il y a eu une tentative qui a échoué du fait des manifestations, obligeant Pékin à violer au moins l’esprit du traité « un pays, deux systèmes » conclu avec la Grande-Bretagne en 1997.
Militairement, on ne peut rien faire pour Hong Kong, d’autant que les esprits sont ailleurs pour cause de virus et de récession.
Il faudrait un grand massacre pour que l’opinion internationale s’émeuve, et que l’on fasse « quelque chose ». J’imagine au mieux un bateau suisse évacuant quelques fuyards avec l’accord tacite de Pékin, mais il n’est même pas certain que le régime chinois estime avoir intérêt à faire cela.
Donc, à mon avis, la Chine va essayer, et probablement réussir, à « manger » Hong Kong en faisant le moins de vagues internationales possibles. Mais elle paiera peut-être un prix élevé à moyen terme.
Le Hong Kong de jadis : liberté et développement
Je connais relativement bien Hong Kong pour y être allé plusieurs fois, il y a quelques dizaines d’années.
Au cours des années 70, mon premier voyage à Hong Kong illustrait « le bon côté » de la colonisation : une liberté économique et individuelle (mais pas forcément politique) et une administration, notamment judiciaire, non corrompue, le tout dans une ambiance commerciale mondialisée, elle aussi de tradition britannique.
Le contraste avec la Chine de Mao en pleine famine était parlant. Résultat : un développement économique déjà impressionnant et qui n’a fait que prospérer depuis.
Pardon pour cette atteinte à la mode intellectuelle qui fait de la colonisation l’origine de tous les maux des pays pauvres. Dans nombre d’entre eux, et pas seulement dans les colonies britanniques, une justice indépendante et non corrompue est aujourd’hui inconcevable et il y a là un important facteur du sous-développement qui ne vient vraiment pas de la colonisation…
Une anecdote m’a frappé : étant sur le port et repérant un bâtiment administratif, je demande où je peux trouver des statistiques de démographie et d’usage des langues. Je m’apprêtais à être renvoyé d’une administration à l’autre, mais pas du tout : « Monsieur, nous avons déjà une bonne documentation ici, voyez ».
Effectivement, et je remarque qu’une forte minorité de la population locale parle la langue de Shanghai, ce qui confirme les récits d’exode en 1949 de l’élite de cette ville, alors métropole économique, pour échapper aux communistes. Garder ou attirer les élites est une autre retombée positive de l’administration coloniale, qui contraste avec leurs fuites volontaires ou forcées depuis les indépendances un peu partout dans le monde.
Tout cela ne pouvait qu’agacer Pékin, mais l’état de délabrement de la Chine nécessitait cette porte ouverte vers le reste du monde, que Shanghai n’était pas encore en état de remplacer.
Depuis, Shanghai a progressé, et l’armée chinoise aussi.
L’absorption de Hong Kong pourrait se faire sans éclats…
La géographie est très spéciale avec un grand nombre d’îlots rocheux, et une foule serait plus difficile à massacrer que sur la Place Tian’anmen.
Par contre les progrès de l’informatique militaire navale et aérienne devraient permettre d’isoler le territoire et de couper les flux humains entrants ou sortants en cas de troubles, ce qui n’était pas le cas il y a quelques décennies.
Et puis, traditionnellement, la Chine n’est pas pressée et prend son temps pour arriver à ses fins, en faisant le moins de vagues possibles.
Si le régime chinois n’est pas trop prisonnier de son orgueil, il va donc commencer par ne rien faire.
L’actualité fera oublier Hong Kong, tandis que les services chinois s’implanteront encore plus pour faire face aux protestations, et tenteront d’acheter quelques personnalités ou entreprises internationales, soit au sens propre, soit en leur offrant des compensations économiques dans le reste de la Chine.
La Chine espère que dans un deuxième temps la menace de la loi suffira à restreindre les protestations et que d’éventuels meneurs utiliseront leur énergie à quitter le pays avant qu’il ne soit trop tard.
Londres vient de faire un pas important en élargissant les droits d’une minorité des citoyens de Hong-Kong nés à l’époque britannique de s’installer en Grande-Bretagne.
L’action chinoise pourrait rappeler la « normalisation » tchécoslovaque, où l’armée rouge n’a pas tiré face à la protestation générale du peuple, mais a petit à petit grignoté la résistance jusqu’à la reprise du contrôle politique et le départ de nombreux opposants.
L’alternative d’une répression brutale est néanmoins toujours possible, par exemple en cas de manifestations anti-chinoises, ou en espérant par exemple terroriser Taïwan.
Quel serait le prix économique à payer et l’impact sur la réputation de la Chine ?
Il y aura des conséquences économiques et politiques à moyen terme.
L’absence de liberté politique et donc économique à Hong Kong pèserait bien entendu sur son efficacité commerciale et financière.
Cette efficacité serait également diminuée par la réaction américaine annoncée par Donald Trump de la fin des relations économiques privilégiées entre Hong Kong les États-Unis. Et notamment la fin de la parité fixe entre le dollar de Hong Kong et celui des États-Unis.
L’exode des cerveaux pourrait également être dramatique.
Outre environ 2 millions de Hongkongais dont leur passeport permet d’être accueilli en Grande-Bretagne ou au Canada, il y a des centaines de milliers d’Européens.
En principe, tout le monde y perdra. La Chine espère que les grands progrès de Shanghai lui permettront de faire face, mais pour l’instant la monnaie chinoise n’est pas (encore ?) une grande monnaie internationale.
Par ailleurs la valeur des entreprises et de l’immobilier de Hong Kong vont vraisemblablement fortement diminuer, au détriment de tous et notamment de personnes haut placées dans le gouvernement de Pékin qui auraient obtenu des permis de construire très rémunérateurs depuis une vingtaine d’années. C’est probablement ce qui explique la patience chinoise face aux manifestations, du moins jusqu’à aujourd’hui.
L’image de la Chine serait de nouveau dégradée, accentuant l’évolution sensible depuis quelques semaines, malgré une contre–offensive bien organisée sur les réseaux sociaux où fleurissent les accusations réelles ou fantasmées contre la Chine, ce qui déclenche immédiatement une riposte à la gloire de la Chine.
Un point intéressant sera l’évolution de l’image de la Chine en Afrique.
Le citoyen africain est en général démocratiquement frustré et aura donc une réaction négative… encore faudrait-il qu’il soit au courant et ait une idée de ce qu’est Hong Kong. Par contre, beaucoup de gouvernants apprécieront une réaction musclée, et, à court terme, c’est leur avis compte.
À moyen terme, c’est difficile à dire.
Que feront les Occidentaux ?
Les Chinois et leurs voisins rêvent ou craignent un engagement des Occidentaux au côté des démocrates hongkongais.
La population de Taïwan se sent directement concernée, le Vietnam et le Japon s’inquiètent discrètement. La diaspora chinoise, dont une partie vient de Hong Kong, notamment au Canada, fera ce qu’elle pourra, c’est-à-dire probablement du soutien individuel et du lobbying politique.
Les Occidentaux ne peuvent pas faire grand-chose, et je ne crois pas aux théories du complot selon lesquelles les États-Unis armeraient et financeraient les protestataires hongkongais.
C’est sur le plan de l’influence que se jouera une partie de la bataille, les Occidentaux partant avec le double handicap du désengagement américain et du respect de beaucoup d’États envers la puissance montante de la Chine.
En sens inverse peuvent jouer la variation rapide des idées de Trump et l’inconnue de l’élection américaine.
On ne pourra pas reprocher à l’Europe d’être absente, puisqu’elle n’existe pas.
A long terme les faiblesses de la Chine et la force des idées peuvent tout bouleverser.
En effet, les évolutions sont plus rapides aujourd’hui que pour les idées de la révolution française qui ont mis plus de 50 ans à gagner certains pays européens ou que la chute du communisme soviétique, qui a mis plus de 40 ans à tomber après sa renaissance en 1945 sous le masque de l’antifascisme…