LA FACE CACHÉE DU CRÉDIT

par Michel LHOMME

Lorsqu’il s’agit de trouver du crédit, l’écart devient inquiétant entre les grandes et les petites entreprises. Les premières se financent gratuitement sur les marchés des capitaux. Les secondes ont toutes les peines à obtenir des prêts car elles n’ont pas la taille critique pour emprunter auprès des banques à des conditions favorables. Sachant que ce sont les petites entreprises qui forment l’essentiel du tissu économique français – et c’est la même chose identique dans tous les pays d’Europe – on ne peut effectivement que s’inquiéter de ce qui va arriver.

Les petites et moyennes entreprises qui ne sont pas cotées en bourse éprouveront, partout en Europe, des difficultés à emprunter auprès des banques. En cause: des pratiques bancaires de fait de plus en plus exigeantes, impliquant une analyse approfondie des risques de défaut et de la rentabilité de l’entreprise, et ce, quels que soient le montant du crédit demandé et la taille de l’entreprise candidate au prêt. Cela implique pour les banques des frais de dossier élevés, qui se répercutent sous forme de taux d’intérêt élevés pour les PME et même pour les PME qui seront cautionnées par l’Etat, les taux d’intérêt s’élèveront en moyenne à 4,5%. L’Etat a-t-il réellement du poids pour imposer aux banques à la fois des crédits et des crédits généreux ?

L’adage est connu : les banques ne prêtent qu’aux riches et effectivement, on peut réellement s’interroger sur les risques réels que des crédits de 100 ou 200 000 euros  impliquent réellement pour des banques qui risquent plusieurs milliards tous les jours dans leurs activités de marché mais peut-on imaginer un autre scénario ? Restaurateurs, cafetiers, petits commerçants qui vont bientôt aller frapper aux portes des banques pour obtenir des avances de trésorerie ne trouveront que portes closes. Or, à la cherté du crédit pour les petites entreprises s’oppose l’invraisemblable facilité qu’ont les grandes entreprises à accéder aux liquidités. Non seulement elles empruntent gratuitement (à des taux proches de 0%), mais plus récemment, des groupes comme Henkel en Allemagne ou Sanofi en France se sont mis à émettre pour la première fois des emprunts à taux négatifs; en d’autres termes, ils sont rémunérés pour s’endetter ! C’est la nouvelle logique des marchés et d’autres vont rapidement suivre et placer des obligations à coupons inférieurs à zéro. Bienvenu à l’ère des pertes garanties à l’échéance pour l’investisseur, et de l’argent hélicoptère pour les entreprises. En effet, ces placements sont possibles parce que la Banque centrale européenne rachète les obligations d’entreprises. Cela fait des années que la BCE essaie de stimuler la croissance en rachetant des milliards d’euros de dette souveraine européenne; quand cette politique a échoué, l’institut a commencé cette année à racheter des obligations d’entreprises, faisant monter leur prix et chuter massivement leurs rendements, jusqu’en territoire négatif. Plus de 700 milliards d’euros de dette obligataire européenne de qualité d’investissement, soit 30% du marché, se traiteraient déjà à des taux d’intérêt négatifs. Mais qui ne voit réellement l’effet délétère des taux négatifs ?

Quel intérêt ont en effet des entreprises, payées maintenant pour s’endetter, à développer leurs marchés, leur innovation, leur efficience? Elles peuvent se contenter d’emprunter de l’argent à vide, au lieu d’être des agents de croissance, de production et d’emplois. Lorsqu’il existait des taux d’intérêt positifs, la fonction de ces derniers était d’inciter l’entreprise qui emprunte à faire travailler ce crédit de manière productive afin de pouvoir rembourser à ses créanciers le principal et les intérêts, en plus de se constituer un profit pour ce travail mais si à présent, cette contrainte est éliminée, à quoi boin se développer, innover ?

Ainsi, d’un côté, les PME, poumon de l’économie, paient des taux élevés, lorsqu’elles ont la chance de plus en plus rare de remplir les critères sélectifs des banques et de l’autre, des grandes entreprises ayant accès au marché des capitaux qui gagnent de l’argent en s’endettant et en plus vont être renforcés par l’argent des contribuables.

On comprend ainsi mieux en tout cas pourquoi depuis quelques années la productivité est au point mort en Europe, alors qu’elle devrait être le facteur essentiel pour améliorer le niveau de vie.