LE COUP D’ÉTAT PERMANENT

par Franck BULEUX

Dans deux ans, nous déposerons dans l’urne (peut-être électronique ?) notre bulletin de vote pour la 11e élection présidentielle au suffrage universel direct de la Ve République.

Bien évidemment, personne n’en parle puisque, depuis l’élection du président Macron, la vie politique démocratique est réduite à sa plus simple expression, c’est-à-dire l’inexistence.

En 2017, Emmanuel Macron a réussi à candidater en représentant le centre de la société, centre gauche d’abord et surtout pour pouvoir prétendre à la succession de l’ancien secrétaire du Parti socialiste (PS), François Hollande, dont il fut l’un des proches, centre droit ensuite pour rassembler les électeurs du châtelain de la Sarthe, François Fillon, dont la campagne électorale fut un chemin de croix.

En se positionnant au centre gauche au premier tour puis au centre droit au second, il rassemblait ce que l’ancien président Giscard d’Estaing appelait de ses vœux, regrouper les deux-tiers des Français, ce qui était relativement simple compte-tenu de l’ostracisme médiatique qui pèse sur toute proposition émanant d’un homme ou d’une femme politique de droite nationale. Le plafond de verre permet ainsi, sauf élection locale rare, l’évitement d’un élu situé à la droite de la droite, d’ailleurs en toute logique il devrait même éviter sa candidature. Pourquoi se faire battre au second tour même si j’ai rassemblé 4 électeurs sur 10 au premier tour ? D’où la nécessité démocratique du mode de scrutin proportionnel, comme en 1986, seul scrutin qui permit la « dédiabolisation » du Front national-Rassemblement national (FN-RN) en ouvrant les candidatures à de potentiels futurs élus, sinon… Mais c’est un autre débat.

La position centrale du pouvoir permit au président Macron de se forger une place essentielle, rejetant aux ailes droite et gauche des oppositions distinctes, divisées, voire inaudibles ou inexistantes.

Mieux encore, depuis trois ans (60 % du temps du quinquennat), Emmanuel Macron se trouve face à des oppositions apolitiques, des oppositions qui existent encore moins qu’un parti dénué de structures locales. D’abord, Emmanuel Macron eut les mains libres, piochant à droite Édouard Philippe et Bruno Le Maire, à gauche Christophe Castaner et Jean-Yves Le Drian. Plus loin à gauche, il était admiré par Robert Hue, ancien candidat communiste à l’élection présidentielle. Plus loin à droite, l’hebdomadaire Valeurs actuelles s’ouvrait à ses paroles, Philippe de Villiers avait, pour lui, les yeux de Chimène. Après ce début de quinquennat prometteur, les obstacles sont arrivés, les Gilets jaunes, présents chaque samedi dans les rues à partir de novembre 2018 puis, à compter de mars 2020, l’ennemi est devenu virtuel, comme dans une société de jeux vidéo, se nommant Covid-19. Entre ces deux luttes, il y eut bien l’« islamisme radical », avec quelques lecteurs fanatisés du Coran qui, munis d’un couteau et de quelques versets « sacrés », qui tue régulièrement quelques mécréants mais soyons réalistes, l’ « islamisme radical » est beaucoup moins actif, et l’on ne peut que s’en réjouir, que sous le quinquennat de l’ancien député-maire de Tulle, François Hollande.

Donc revenons aux deux combats d’Emmanuel Macron : un groupe de personnes, les « Oubliés » selon le titre de la chanson de Gauvain Sers, se mobilisant, y compris parfois durement, contre Macron. Une espèce de populisme de terrain sans incarnation dans une société où seule cette dernière traduit une réalité. Une pléthore de leaders sans lendemain, une absence de récupération politique liée à la diabolisation du RN car, soyons clairs, la majorité des Gilets avait voté Le Pen en 2017 mais de là à intégrer la politique aux défilés, ç’eut été décrédibiliser la lutte par rapport aux médias, dont le résumé, tout trouvé, se serait limité aux « partisans de l’extrême droite » dans la rue, les « jaunes ». Il aurait alors suffi de retrouver le sens du mot « jaune » à travers les siècles, celui de la trahison. La marche du samedi serait devenue romaine. Les Gilets jaunes ont préféré se présenter comme de furieux abstentionnistes, voire des compagnons de route du député de Marseille, l’ancien ministre socialiste Mélenchon. Ne vous trompez pas de colère ! braillaient les cadres de La France insoumise (LFI). Tout cela fut réglé, notamment et surtout en interdisant (déjà…) les rassemblements dans les centres-villes.

Et puis, le second combat a permis de rassembler les Gilets jaunes, puisqu’ils avaient échappé à l’ostracisme (voir plus haut) de l’ensemble de la population dans le style : ce sont les (anciens) Gilets jaunes qui soignent, qui encaissent (les caissières), qui livrent, qui permettent le maintien en vie du pays attaqué par un ennemi mondial et invisible. Le retournement s’était produit : ils étaient honnis, presque bannis, ils deviennent les « applaudis » du 20 heures. Bientôt, Macron va nous dire qu’ils ont eu bien fait de défiler.

Le Covid-19 a permis, en quelques semaines, de rassembler le peuple, de réintégrer les Gilets jaunes dans le giron du pouvoir central. Ce virus a permis de « tout pardonner ».

Car, dans deux ans, où en serons-nous ? Le Covid-19 aura peut-être évolué, « muté » comme disent les scientifiques. Mais voyez-vous poindre l’alternative à un pouvoir sans opposition ? Ou plutôt, imaginez des défilés contre le Covid-19 pour limiter toute contestation. De toute façon, on l’a vu, la liberté de circulation est, juridiquement, un leurre puisqu’elle a disparu le 17 mars.

Lorsqu’un évènement créé un certain nombre de mouvements comme un attentat, un accident, la question récurrente est : à qui cela profite ? Ici, silence radio. Les errements du gouvernement ne profitent à personne d’autres qu’à lui-même.

Cette séquence semble se limiter à « Macron contre le Covid-19 », donc si vous vous opposez au président actuel, vous n’êtes pas solidaire de la « guerre » contre le virus. C’est l’épisode-collabo. D’ailleurs, régulièrement, dans la presse, on lutte contre la collaboration : tel Français qui conteste par exemple, même si certains bénéficient d’exonérations en la matière.

Déjà, on entend qu’il n’y aura pas de retour à la normale… avant deux ans.

Dans de telles conditions, comme on l’a vu lors du premier tour des élections municipales, comment seront gérées le second tour de ces mêmes élections mais aussi les élections départementales, les élections régionales et les élections sénatoriales, toutes prévues entre le 21 juin prochain et 2021 ?

La vie politique était déjà atone depuis 2017, elle est aujourd’hui amorphe. Dans ces conditions, comme l’écrivait François Mitterrand dès 1964, nous sommes vraiment dans le coup d’État permanent. À une différence près, essentielle, personne ne le dénonce.