LES ENTRETIENS DE METAINFOS : GÉOPOLITIQUE DU CORONAVIRUS / 5

avec Claude CHOLLET

– On lit beaucoup d’éléments contradictoires selon les différentes sources d’information disponibles ou selon les avis des professionnels de la santé. Quelle est la réalité effective de cette pandémie selon vous ?

Contrairement à tout un chacun je ne suis ni virologue ni épidémiologiste, je me garderai donc de jugements péremptoires. On peut simplement rappeler quelques éléments statistiques. Au moment où j’écris le 7 avril 2020, il y aurait 1,5M de cas et environ 75000 décès. Et ce sont les Etats-Unis qui sont maintenant les plus touchés. Rappelons le nombre moyen de décès par an ces dernières années (en arrondissant) pour les principaux pays touchés  :

France : 600 000

Allemagne : 950 000

Italie : 600 000

Espagne : 400 000

Etats-Unis + Canada : 3 000 000

Pour ces six pays on enregistre à date : 50 000 décès.

Sur une période de trois mois, le nombre de décès « normal » pour ces cinq pays est d’environ 1,5 millions, en estimant que le chiffre de 50 000 décès est sous-estimé et en prenant 75 000 décès cela représenterait 5% des décès sur cette période janvier/mars. Quelque chose de très sérieux mais rien à voir avec la grippe espagnole de 1918/20 qui a tué 50 millions de personnes. Bien entendu je parle à l’instant T. Que se passera t’il aux Etats-Unis et en Afrique, nous l’ignorons largement.

– Cette pandémie précède-t-elle un effondrement économique et systémique ?

Il faut différencier les deux. Crise économique c’est certain, faillites d’entreprises, chômage en flèche, augmentation des dépenses et des impôts, crise de la demande, effondrement du tourisme,nous n’en sommes qu’au début. Il est possible que nous soyons au début du commencement d’un changement de paradigme. La mondialisation heureuse, le libéralisme libertaire, le sans-frontièrisme souriant, la main invisible qui réconcilie tout le monde, tout cela a du plomb dans l’aile. Mais comme l’animal est blessé, il va devenir aussi plus méchant. Les intérêts matériels et moraux du système libéral libertaire sont immenses, ils seront défendus farouchement. Les mondialistes et les diversitaires ne se rendront pas sans combattre, fût-ce au prix de nouveaux dégâts encore plus considérables. Il y aura des répliques, des effets de résonnance sur plusieurs années, peut-être faudra t-il une génération pour enterrer (partiellement) le vieux monde. Mais je ne crois pas à un effondrement, plutôt à des effritements par à coups et des secousses plus ou moins marquées.

– Plus de 3 milliards de personnes sont appelées à se confiner dans le monde. Pour la première fois de son histoire, l’humanité semble réussir à se coordonner de manière unitaire face à un ennemi global commun. Que vous inspire cette situation ?

Un sentiment d’étrangeté, il n’y a pas vraiment de coordination. Il y a des pouvoirs publics tétanisés, qui avaient abandonné le politique au profit de l’économie (sauf en Chine) et qui découvrent que l’histoire n’est pas un long fleuve tranquille progressiste. Ils sont désemparés et essaient de préserver leurs pouvoirs en prenant des mesures défensives. Chacun joue pour soi face à un danger d’autant plus impressionnant qu’il est invisible.

– Cette pandémie va-t-elle forcer l’humanité à se doter d’un gouvernement mondial comme le préconisait Jacques Attali lors de la pandémie de grippe A en 2009 ?

Yuval Noah Harari, l’auteur de Sapiens, a pris le relais d’Attali. Dans une tribune du Monde du 5 avril 2020, il plaide pour une sorte de mondialisation 2.0, où le « partage », le « doux commerce », une sorte de coopération planétaire résoudrait tous les problèmes et absorberait sans trop de douleurs les pandémies, actuelles et futures. On voit très bien se dessiner de nombreux appels en ce sens et contre tout bon sens. Ils seront entendus par ceux dont ils défendent les intérêts, je doute que la période leur soit très favorable mais il y aura bien sûr de nouvelles tentatives allant dans cette direction.

– En 2009 toujours, Jacques Attali expliquait que « l’Histoire nous apprend que l’humanité n’évolue significativement que lorsqu’elle a vraiment peur ». Que vous inspire cette idée ?    

Je ne crois aucunement à une évolution de l’humanité toute entière. Il y a des secousses qui amènent des changements de paradigme, des changements de rapports de forces entre les nations, entre les continents, entre les civilisations. Chacun voit l’affaiblissement relatif des Etat-Unis et la montée de la Chine. Et les Européens ? Ont-ils assez peur pour oser redevenir une puissance ? Sans doute pas tout de suite, il faudra aller plus bas, plus au fond pour -peut-être donner un coup de talon et remonter.

 Comment voyez-vous l’évolution de la pandémie et ses conséquences politiques et sociales dans les semaines à venir ?

Dominique Venner avait pour habitude de dire que ce qui domine en histoire c’est l’imprévu; nous y sommes. La peur des responsabilités, la prédominance du court terme, une sorte d’impuissance subie et parfois voulue, marquent le personnel politique européen à l’exception de certains pays d’Europe centrale. A l’échelle de quelques semaines il peut y avoir des mécontentements sporadiques, les mesures de confinement et l’été vont calmer un peu le jeu. Mais la rentrée risque d’être chaude : les élections municipales reportées pourront-elles se tenir ? Comment vont réagir les banlieues quand l’approvisionnement en drogues va se tarir ? Comment répondre aux reproches justifiés des gouvernants ? A court terme, il y aura un tour de vis sécuritaire au nom de la lutte contre le virus via le tracking téléphonique et sur les réseaux sociaux. Un excellent prétexte pour renforcer la société de surveillance, chacun sera prévenu. Je doute que ce soit suffisant pour juguler complètement les mécontentements qui seront multiples.

– Existe-t-il une issue politique à la situation que vous venez de décrire et quelle forme pourrait-elle prendre selon vous ?

Carl Schmitt définit la politique comme la distinction entre ami et ennemi. Nous nous sommes découvert un ennemi invisible. Les peuples européens vont-ils se découvrir d’autres ennemis aussi sérieux ? Y compris à travers les pseudo-élites qui les gouvernent ? Pour un véritable changement de politique, il faut des hommes et des femmes capables de prendre la relève. En France et en ce printemps 2020, je ne les discerne pas. Mais les périodes de crise sont celles où de nouvelles figures apparaissent, capables de prendre ce que Schmitt appelle des décisions, des décisions qui protégeraient les Européens et les feraient rentrer dans une nouvelle période historiale.

– Comment liez-vous la crise actuelle à votre domaine d’expertise et votre champ de recherche ?

Il n’y a pas qu’une pandémie sanitaire mais aussi une médiadémie ou pandémédias, choisissez votre néologisme. Le sensationnalisme côtoie des reportages de complaisance. Les sujets qui fâchent, le non confinement de certaines minorités dans certains quartiers, un attentat récent dans la Drôme, l’insécurité grandissante, sont minimisés voire occultés. Il ne s’agit pas de censure mais d’auto-censure consciente ou inconsciente. Rassurez-vous (si j’ose dire) la vraie censure est à venir. La loi Avia sur les « discours de haine » n’a pas encore été votée en deuxième lecture. Elle le sera à coup sûr et permettra aux opérateurs de censurer larga manu toute information non conforme sur les réseaux sociaux qui sont ceux qui informent le mieux si on les utilise avec discernement. Plus que jamais ce n’est pas seulement la liberté d’expression mais aussi la liberté d’opinion qui sont en péril. De ce côté je fais confiance à l’inventivité des diffuseurs d’informations, le système soviétique a péri et les samizdats y ont été pour quelque chose.

SOURCE : https://strategika.fr