Par Michel LHOMME
Hier, le travail était une activité choisie, qui procurait autonomie, épanouissement et solidarité des individus ; demain, le travail sera soit inexistant (revenu universel), soit individuel, en bulle privative rivée sur les écrans sans temps de pause ni de repos.
De fait ce n’est plus depuis longtemps pour obtenir du repos que nous sommes contraints de travailler, mais pour tout juste consommer.
Ainsi, le travail se vide de sa dimension de sociabilité, de la charge éthique et symbolique qui faisait sa consistance, pour n’en retenir que sa valeur libérale, celle de l’efficacité économique. Concurrencé par les délocalisations et la robotisation, une fraction importante de nos citoyens devrait se retrouver très vite à l’état de chômage endémique sur du long terme ou en télé-travail sur des contrats de vacataires.
Depuis, 2008, chez nous, de nouvelles formes de travail à prix bradés sont apparues (qu’on songe au « modèle « uber » de taxis ou de livraisons de plats à domicile dans la capitale), il ne restait plus en effet qu’à tenter de généraliser le télétravail ! Imaginez, tous les frais annexes d’électricité, d’entretien du matériel sont maintenant payés par l’employé lui-même ! Quel patron n’aurait-il pas rêvé plus ?
Mais pour cela, il faut généraliser ce que certains de nos économistes politiques appellent un « libéralisme dictatorial » comme dans les pays Anglo-Saxons. Contrairement à ce que nous serinent les journalopes sur les plateaux, c’est la continuité du même processus qui a consisté à libérer le travail des contraintes du Code du Travail, en créant toujours plus de nouveaux contrats ultra-flexibles favorables aux employeurs, revenant sur tous les accords collectifs d’entreprises et en bloquant à l’avenir toute augmentation de salaire par une externalisation des frais.
Demain, le travail « socialisant » dans nos sociétés en régression, ne sera-t-il plus qu’un privilège, réservé à une élite riche et bien éduquée ?
Un grand chantier s’est donc ouvert à nous, c’est sans doute plus que l’écologie, la grande utopie du XXI° siècle : la fin du travail, y compris des consultations et des rencontres directes, bref la dématérialisation du monde, la désocialisation du travail.
Contre la crise des significations dites libérales, accroissement illimité de la pseudo-maîtrise rationnelle du monde, contre les irrationalités et le vide de notre système-monde, face à la généralisation du télé-travail, on se souviendra alors peut-être d’un passé glorieux du travail (conscience de classe ? paysannerie de bon aloi ? industrie virile qui prodiguait une bonne fatigue ?), on se souviendra sans doute d’une charge éthique et symbolique du travail, celle du Laboureur et de ses fils, la fable de Jean de la Fontaine, on acceptera et regrettera en même temps la hiérarchie, le mérite, et toutes ces idées grotesques conçues par un imaginaire foncièrement inégalitariste et anti-démocratique et qui aujourd’hui, servent d’écrans de fumée pour cacher la spoliation de la vie même par la démocratie illibérale.

Le tableau du nouveau travail chez soi, contrôlé, supervisé dont la noirceur ne serait contestée que par un cynique, c’est en fait la promotion des idées de bio-pouvoir (Foucault) et de contrôle viral (Baudrillard), d’aliénation généralisée de toute la sphère privée de l’économique et du management.

C’est le capitalisme intelligent qui voudrait séduire les ignares de gauche et qui y parvient.
Revenons au début : le libéralisme « marchand » a pour fondement la propriété, laquelle définit la liberté. Mais est-ce la liberté ? A-t-on besoin de puissance, et de propriétés pour ressentir la liberté ? La liberté est un état de fait et non une situation fabriquée. Le plus puissant et le plus riche est-il le plus libre ?
Faut-il vraiment s’enfermer définitivement, se couper du monde et produire dans l’isolement pour être demain le nouveau travailleur social, la nomade folle de la liberté confinée du consumérisme post-moderne, un consumérisme sans centres commerciaux, sans cash et sans menue monnaie, sans pourboire, à la carte bancaire tracée, le kleenex sur le bureau à côté de son robot-sexuel et de son masque ?
