par Juan ASENSIO
Finalement,
le ton pamphlétaire en moins propre à l’auteur des Décombres,
Georges Valois adressera à Charles Maurras, après l’avoir admiré
de manière un peu trop grandiloquente (1), les mêmes reproches que
Lucien Rebatet : «Maurras et ses commanditaires avaient toléré ma
politique ouvrière, tant qu’ils avaient pu la mener sur le plan de
la littérature, mais du jour où je déclarais que nous passions à
l’action politique, on voulait m’arrêter net» écrit ainsi l’auteur
dans son Basile
ou la politique de la calomnie (2),
décrivant Charles Maurras comme tant d’autres l’ont fait, à savoir
un homme qui est avant tout un esprit plutôt que des muscles et des
mains. Maurras dut ainsi être «extrêmement embarrassé par mes
questions», continue Georges Valois, qui poursuit sa charge en
enfonçant le clou d’une ironie point complètement débarrassée de
regrets, du moins à cette date : «Il nous fit un discours d’une
demi-heure pour me démontrer que, nécessairement, il avait toujours
pensé à faire ce qu’il disait. Je lui demandai des ordres, il n’en
donna aucun» (3).
Ce
n’est pourtant pas tant l’action qui a souri à Georges Valois, Paul
Sérant rappelant en quelques pages synthétiques l’échec que fut sa
tentative de créer un fascisme à la française, que la réflexion,
dont ce texte heureusement réédité par La Nouvelle Librairie
dirigée par François
Bousquet (qui
reprend l’héritage de Valois, créateur de la Nouvelle Librairie
nationale) nous donne un témoignage plus qu’intéressant. La Préface
à cet ouvrage évoque l’intérêt principal de ce livre de Georges
Valois, l’un de ces auteurs qui heureusement ne fait pas partie de
ces «penseurs simples, binaires, facilement classables [qui] ne sont
plus d’un grand secours» (p. 8) : «une tentative de dépasser les
clivages sociaux, dans une vision organique et corporatiste de la
nation» (p. 20), ou, pour l’écrire avec l’intéressé lui-même,
une tentative de refonder voire, plus désespérément, fonder un
État national, autrement dit «nous-mêmes avec nous-mêmes, avec
nos femmes et nos enfants, avec ceux de nos métiers, avec nos
propres chefs, pour la France régénérée par la victoire, pour la
grandeur française que nous aurons servie et que nous voulons servir
!» (p. 41).
De
cet État national, Georges Valois donne une définition qui
synthétise l’opposition courant au travers de tout son livre entre
les vertus du combattant, héroïques et nobles, et celles du
bourgeois, aussi peu héroïques que nobles, corrosives à vrai dire
: «c’est l’État qui repose sur les valeurs héroïques par
lesquelles toute cité est fondée, défendue, conduite à la
grandeur; c’est l’État qui repose sur la philosophie même du
combattant; c’est l’État qui veille sur la propriété nationale,
qui veille sur le patrimoine spirituel de la nation, qui n’accorde
aucune licence aux tentatives faites contre les valeurs fondamentales
de la Cité; pour qui la propriété individuelle et familiale n’est
qu’un moyen de prospérité et non le but de son activité; qui est
au-dessus des partis et des classes et qui recrute ses états-majors
aussi bien dans une classe que dans l’autre» (pp. 67-8). L’État
national est donc l’inverse même de l’État libéral, dans lequel
la nation n’est qu’une «juxtaposition de citoyens dont la règle
individuelle est la loi de l’argent», alors que, pour l’autre, «la
nation est une organisation de familles, qui font corps avec les
régions et les métiers» (p. 69).
Seul
cet État national est capable de provoquer un patriotisme charnel,
antithèse même du «patriotisme verbal» (p. 31) qui a fait des
ravages durant la Grande Guerre dont Georges Valois exalte l’esprit
véritable, seul à même d’insuffler sa vitalité à la nouvelle
organisation sociopolitique qu’il appelle de ses vœux : «La
philosophie du combattant, qui défend les valeurs héroïques,
s’oppose à la philosophie du financier, pour qui il n’y a dans le
monde que des valeurs de bourse, des commissions sur les emprunts,
qu’ils soient français ou allemands» (p. 49). Il s’agit de
retrouver un horizon spirituel et une dimension complétant la
Politique par une mystique, s’il est vrai qu’un peuple ne pourra
«supporter longtemps la pensée que son effort n’a d’autre
expression que les plaisirs de Deauville et de la Côte d’Azur» (p.
72) et, puisqu’il faut «recréer les conditions de la grandeur», la
première d’entre elles, juge Georges Valois, sera de faire rentrer
dans la vie publique les «valeurs héroïques retrouvées dans la
guerre» (p. 73). Il ne sera pas le seul à avoir exigé, une fois
sorti vivant de l’hécatombe monstrueuse que fut la Première Guerre
mondiale, une refondation ou même une régénération du pays
profondément blessé. Il ne sera pas le seul à vite déchanter, les
vertus de l’Arrière ayant pris, si j’ose dire, le devant de la scène
politique française, les grands appels et belles déclarations
s’étant vite transformés en petites médiocrités et
compromissions.
Comme
nous comprenons que Georges Valois ait fini par se séparer de
Charles Maurras, pourtant qualifié de «grand libérateur de la
pensée » (147), lui qui écrivait, assez crânement : «Notre
objet, c’est la grandeur. On atteint la grandeur par l’action» (p.
75) même s’il n’a pas vraiment su la concrétiser sous ses propres
entraînement et panache, alors qu’il n’aura eu de cesse, du moins
dans ce petit livre, d’évoquer une «comptabilité des
impondérables» (p. 95) à opposer systématiquement à la basse
comptabilité des bourgeois qui ne sont en fin de compte rien d’autre
que les propagateurs d’une «conception mercantile ou économique de
la vie nationale et sociale» (p. 99), comme si le bourgeois avait
finalement diffusé son poison matérialiste jusqu’à la tête, aux
plus hauts sommets de la nation mais aussi dans l’ensemble de
l’organisme social qui ne tardera pas à devenir fiévreux : «Quand
le bourgeois veut être le premier dans l’État, c’est un
destructeur, ou un chef qui s’abandonne, c’est Étienne Marcel, c’est
Guizot, c’est M. Thiers, c’est M. Raymond Poincaré» alors que, s’il
restait fidèle à sa place qui ne devrait jamais être la première,
il serait bien évidemment capable de servir, puisque c’est alors «un
grand serviteur du Prince et du Peuple, c’est Colbert» (p. 93).
L’opposition au bourgeois n’est donc pas complète, le propos de
Valois concernant bien davantage le fait que ce dernier n’occupe que
la place qui lui revient, subalterne. C’est au contraire au
Combattant d’être au premier rang, car c’est sur la force que l’on
fonde la paix, et que «l’on organise le commerce dans les limites
que trace sur le sol l’épée du combattant» (p. 104) puisque, en
effet, c’est «la sécurité qui est la condition de l’abondance»
(p. 109) et certainement pas l’inverse, sur quoi repose la prétention
et la tromperie du régime que le Bourgeois cherche à favoriser,
toutes les fois que l’une de ses déclinaisons historiques cherche à
mettre en place un pouvoir qui lui soit favorable, donc qui le laisse
en paix faire ce qu’il sait faire le mieux : acheter et vendre,
autrement dit faire des affaires. Ainsi, «le bourgeois libéral
représentait l’Argent, mais recouvert d’un voile pieux; le bourgeois
national représentait l’Argent, mais avec un petit morceau du
drapeau tricolore; le bourgeois radical représente l’Argent nu et
obscène» (p. 132).
L’Argent,
puisqu’il est parlé du bourgeois que Valois substantifie en quelque
sorte en lui accordant, comme au métal précieux d’ailleurs, une
majuscule, est le thème sous-jacent de notre livre et on peut sans
trop craindre de se tromper affirmer qu’il est, comme la Machine
chez Georges Bernanos,
l’un des surgeons du règne de la quantité, du chiffre, alors que,
pour Valois, c’est «l’épée, et non le bidon de pétrole, qui est
au premier rang» car la «paix, ce n’est pas une entente entre
financiers et producteurs des deux mondes, c’est l’équilibre entre
les forces des combattants» (p. 150). D’ailleurs, toutes les fois
qu’un empire s’est laissé envahir par le Chiffre n’ayant d’autre but
que son accroissement, il a péri, comme lorsque «Rome devenue trop
riche, l’Argent l’emporta sur le glaive», comme «lorsque l’esprit
combattant de Rome héroïque céda devant l’esprit bourgeois de Rome
riche et jouisseuse» (p. 152).
Le
Combattant, le premier, a été floué par la paix honteuse qui a été
signée après la Grande Guerre, tout bonnement parce que cette paix
est «la paix bourgeoise, la paix des financiers, qui rejette
l’Europe tout entière dans la corruption de l’argent » (p. 157),
Georges Valois allant même, et c’est sans doute la page la plus
saisissante de son ouvrage, que je me permets donc de citer in
extenso,
jusqu’à décrire fascisme et communisme comme «une même réaction
contre l’esprit bourgeois et ploutocratique» : «Au financier, au
pétrolier, à l’éleveur de porcs qui se croient les maîtres du
monde et veulent l’organiser selon la loi de l’argent, selon les
besoins de l’automobile, selon la philosophie des cochons, et plier
les peuples à la politique du dividende, le bolcheviste et le
fasciste répondent en levant l’épée. L’un et l’autre proclament la
loi du combattant. Mais le bolcheviste slave arme son bras pour
s’élancer à la conquête des richesses accumulées dans le monde
romain. Le fasciste latin dresse la hache pour fonder la paix et
protéger le laboureur contre l’usurier. Ce n’est point par hasard
que la réaction contre le régime bourgeois produit le bolchevisme
en Russie et le fascisme en Italie. Le bolcheviste slave, c’est le
guerrier du Nord, qui se place à la tête des hordes asiatiques et
scythiques et à qui sa doctrine fournit une justification pour
partir au pillage du monde romain, qu’il nomme le monde capitaliste.
Le fasciste latin, c’est le combattant du Midi, qui veut arracher
l’État aux mains débiles de l’administrateur bourgeois, protéger
le travail contre l’argentier, et redresser les défenses de la
civilisation abandonnées par les mercantis et les juristes
incapables de porter les armes» (p. 158).
Je
me demande si nous ne pourrions pas transposer assez facilement cette
excellente analyse, comme le suggère d’ailleurs la première
de couverture de notre réédition,
au cas actuel de la France ployant sous la Macronie qui, après tout,
peut à bon droit être considérée comme la prise de pouvoir d’une
petite oligarchie méprisante et arriviste, dénuée de tout
scrupule, ayant pour politique dévastatrice d’allier les différentes
bourgeoisies françaises, puisqu’elle considère que c’est un climat
propice au développement des affaires, un monde libéré de toute
forme de régulation et dans lequel l’Argent, le Chiffre, seraient
donc roi, qu’il faut instituer pour libérer l’homme de ses vieilles
attaches, ne pariant donc, pour parvenir à son désir le plus cher,
que sur les valeurs pondérables, échangeables, reléguant les
valeurs impondérables au musée des horreurs réactionnaires et si
affreusement passéistes.
Si
c’était le cas, il nous faudrait alors faire nôtre ce rappel de
Georges Valois affirmant que ce n’est pas un Gouvernement bourgeois,
instauré par le bourgeois et n’ayant d’autre but que de favoriser la
prospérité de ce dernier, qui décidera de notre sort, mais
l’esprit des combattants qui «fera la révolution nécessaire» (p.
161). Reste à savoir si nous sommes encore capables de dresser des
combattants, même éborgnés, face à ce qu’incarne le pouvoir
macronien, l’empire du chiffre, ce qui sera un avenir peut-être
moins sombre, à tout prendre, que celui que Georges Valois appelle
de ses vœux, une révolution nationale établissant impitoyablement
une «Dictature nationale, afin d’accomplir son œuvre» (p. 174).
Notes
(1) Georges Valois, La Révolution nationale (1924) (La Nouvelle Librairie, préface de Guillaume Travers, 2019, p. 148) : «Le XIXe siècle portera le nom bourgeois. Le XXe, s’il est nommé, portera celui de Maurras».
(2) Cité par Paul Sérant, Les dissidents de l’Action française (Éditions Pierre-Guillaume de Roux, préface d’Olivier Dard, 2016), p. 49.
(3) Paul Sérant, op. cit., pp. 45-6.
Source : http://www.juanasensio.com/archive/2020/02/26/la-revolution-nationale-de-georges-valois.html