BRET EASTON ELLIS OU L’ AUTO-LYNCHAGE DU MÂLE BLANC

Par Michel LHOMME

Nostalgique du cinéma des années 70, Bret Easton Ealis se souvient avec délices et nostalgie de tous les films d’horreur dont il se délectait pendant son adolescence, tels La maison des damnés,Théâtre de sang ou Phantom of the paradise de Brian de Palma. Alors qu’il n’est encore qu’un étudiant d’une vingtaine d’années, Bret est contacté par Vanity Fair pour qu’il écrive son premier article. Contre toute attente, son premier roman Moins que zéro paru alors qu’il n’a que 23 ans et ce fut tout de suite un énorme succès. Pourtant cet opus ne comporte pas vraiment d’intrigue et ses personnages ne sont ni positifs ni sympathiques, mais ils étaient parfaitement dans l’air du temps, c’est-à-dire nihilistes, cyniques, désenchantés et surtout gays et cocaïnomanes. Un film en a été tiré mais très peu fidèle à l’esprit du livre, il a été loin de rencontrer le succès escompté.

Bret Easton Ellis aura moins de réussite avec son deuxième opus Les lois de l’abstraction mais retrouvera à nouveau la réussite avec le troisième, le fameux American Psycho  dont on tira un film qu’il trouve assez médiocre et même une comédie musicale pour Broadway.

Il est alors bien difficile de classer le petit dernier, White, sorti l’année dernière : il ne rentre dans aucune catégorie particulière mais ce qu’on y relève surtout c’est un ton nouveau, une sorte de remise en question, d’autocritique, un léger tournant conservateur pris.

Ce n’est pas vraiment un roman, pas vraiment une biographie (encore que Bret Easton Ellis parle énormément de lui-même et encore une fois de son homosexualité qui semble être pour lui l’alpha et l’oméga de toute son existence, de sa carrière et de ses fréquentations hollywoodiennes). Ce n’est pas non plus tout à fait un témoignage sur le monde de l’édition et du cinéma (quoique les potins, ragots et historiettes sur toutes sortes de stars ne manquent pas et aguichent le lecteur contemporain).

Mais certains passages raviront le lecteur curieux de l’Amérique : par exemple tous ceux consacrés à l’élection de Donald Trump relatant assez justement la stupeur et l’effroi des milieux bobos américains, choqués au point d’en rester sans voix. Bret Easton Ellis se moque justement de ces réactions aussi idiotes que sectaires et dresse également les portraits de Charlie Sheen, alcoolique et drogué, de Tom Cruise, dépressif avant de basculer dans la scientologie, et de Kanye West, ostracisé et considéré comme dément pour avoir déclaré que Trump pouvait être considéré comme un président acceptable.

Neuf ans après son dernier roman Suite(s) impériale(s), White est ainsi un livre curieux de réflexions tranchantes sur l’Amérique d’aujourd’hui, à la fois un plaidoyer pour la liberté d’expression mais aussi un essai contre le politiquement correct et la victimisation généralisée, le livre aurait d’ailleurs dû s’appeler White Male Privilege, comme si Ellis y cherchait le bâton pour se faire battre.

Alors l’auteur superstar des lettres américaines à vingt et un ans vieillirait-il mal, ce qu’ont semblé d’ailleurs sous-entendre l’année dernière certains critiques américains ? C’est que Bret Easton Ellis y condamne notre époque qui « juge tout le monde si sévèrement à travers la lorgnette de la politique identitaire que vous êtes d’une certaine façon foutu si vous prétendez résister au conformisme menaçant de l’écologie progressiste ». Il s’insurge contre les critiques excessives démocrates faites à l’encontre de Donald Trump, contre la génération Y qu’il appelle la « génération chochote » au « culte bourgeonnant du like » incapable de se concentrer sur un livre plus de cinq minutes.

Evoquant le cinéma américain, Bret Easton Ellis détonne aussi en valorisant les films sincères qui ne « contiennent aucune cause politique » comme le film britannique Week End (2011) d’Andrew Haigh contre l’oscarisé Moonlight de Barry Jenkins qui selon lui « ne fut porté aux nues non parce que c’était un grand film, mais parce qu’il avait coché toutes les cases de notre obsession du moment [ un peu comme le si insipide Misérables en France ](…) Le personnage principal étant gay, noir, pauvre, martyrisé et victime. »

Du coup, alors qu’il était généralement encensé par les biens pensants français, le « post-moderne », Bret Easton Ellis a lui-aussi été ostracisé, certes pas encore lynché comme le prix Nobel Peter Handke quoique on sent bien que cela ne saurait trop tarder si l’auteur a l’audace pour son prochain livre de récidiver une fois de plus. Son dernier opus White a en tout cas été considéré comme agaçant et chez les critiques français, en général invertis ou pro-gay, on a vite pris son crayon et, tête basse ou la queue entre les jambes, inscrit au dos de la page de couverture discrètement à l’intérieur : « au pilon ».