MOSCOULAND

Par Antipresse

Moscou a enfin son Disneyland. Poutine a pu l’inaugurer sans chapka ni mitaines, puisque l’essentiel du parc d’attractions est abrité par de gigantesques dômes de verre. Construit entre deux méandres de la Moskova, il a été baptisé Ile des rêves. Un vieux rêve, en réalité. Celui que Khrouchtchev avait conçu pendant sa visite historique aux Etats-Unis en 1959. Vexé de s’être vu refuser l’entrée de Disneyland, Nikita s’était juré de faire mieux et plus grand. Une manière de «rattraper et dépasser l’Amérique», comme le voulait le slogan qu’il avait rapporté de son voyage.

Khrouchtchev serait très déçu de voir ce qu’il est advenu du rêve qu’il n’a pas eu le temps de concrétiser avant sa destitution en 1964. Lui voulait un parc qui reproduise l’Union soviétique en miniature. Sur l’Île des rêves, qui n’est en fait qu’un vaste centre commercial, on ne quitte Moscou que pour se promener dans les rues de Barcelone, Londres ou Beverley Hills. On y croise des Schtroumpfs, des tortues Ninja et autres créatures nées de l’imaginaire des sociétés occidentales de production, qui ont vendu leur succédané de culture à un clan d’oligarques véreux pour un investissement total d’un milliard et demi de dollars.

Au-delà du discours officiel, on a pu entendre quelques voix discordantes, comme celle de la chaîne Tsargrad d’inspiration patriote et conservatrice: «Ainsi, le parc d’attractions le plus grand de Russie, qui est aussi le plus vaste parc d’Europe sous couvert et qui doit servir à Moscou de carte de visite en matière de divertissement, se distingue-t-il par l’absence de nos héros nationaux et de ceux des bandes dessinées russes, que nos enfants seront en peine de retrouver». Dans les commentaires de visite, une babouchka se plaint d’avoir investi la moitié de sa maigre retraite pour accompagner son bout de chou (75 dollars pour les deux entrées). Sur le chemin du retour, elle rêvera des personnages des contes de Pouchkine, de Tchoukovski, de Marchak ou d’Ouspenski qui ont peuplé son enfance, pendant qu’à côté d’elle le petit chou ne décollera pas de son écran.