MÉDIAS : LES BONS ET LES MAUVAIS COMPLOTS

La lutte des médias de grand chemin contre le complotisme est un jardin de paradoxes. En tout premier lieu, parce qu’ils sont eux-mêmes parmi les plus gros fournisseurs de théories fumeuses: les charniers de Timisoara, le nuage de Tchernobyl «qui s’est arrêté aux portes de la France», la manipulation des élections U. S. par la Russie et autres rumeurs invérifiées impliquant d’improbables tireurs de ficelles.

Ingrid Riocreux, analyste passionnante de la rhétorique des médias, demande en fin de compte la liste des «bons complots». Dans son article intitulé «Oui, dites-moi à quels complots j’ai le droit de croire», elle relève quelques succulentes contradictions du débusquage des complotistes, par exemple sur la chaîne W9. Comment, par exemple, la réhabilitation du clandestin Mamadou Gassama qui sauva un bébé en train de tomber d’un balcon lui a inspiré plus de suspicion que de confiance. L’émission rappelle qu’André Bercoff a interviewé une physicienne reconnue, en lui demandant de confirmer scientifiquement qu’il était impossible qu’un enfant tombant d’un balcon puisse, dans sa chute, s’agripper à la balustrade du balcon de l’étage du dessous. W9 diffuse un extrait de l’interview en question et, sans répondre sur le fond, laisse un des intervenants commenter en substance: «les complotistes aiment beaucoup les experts, ces spécialistes diplômés qui viennent accréditer leurs théories». Ironie du sort, celui qui s’exprime ainsi est « expert en théories du complot ». Les anticomplotistes aussi aiment beaucoup les experts, ces spécialistes diplômés qui accréditent leurs théories!

Une telle faute rhétorique (un discours qui se disqualifie lui-même en voulant attaquer la cause adverse) s’appelle l’autophagie: littéralement, le fait de se manger soi-même.

Par-delà l’anecdote, Riocreux relève que «le complotisme est moins une conviction réelle et scientifiquement fondée, même s’il s’en donne l’allure, qu’une réaction face à l’instrumentalisation allergisante des faits, allègrement pratiquée par des médias unanimes et donneurs de leçons».

Syrie le « complot » si vite oublié

Des caves pleines à craquer d’obus et de munitions diverses en provenance d’arsenaux U.S. et otaniens! Ce sont les images que l’agence SANA a diffusé à mesure que l’armée syrienne pénètre dans la place forte islamiste d’Idlib. Images qu’on n’a pas vu sur les chaînes d’information occidentales, des fois que des citoyens naïfs douteraient encore que les djihadistes les plus endurcis du Moyen-Orient étaient soutenus et armés par l’Occident !

Il s’agit pourtant d’une politique publiquement assumée, même si elle n’était pas claironnée. En 2017, lorsque Trump mit fin au programme d’aide aux rebelles de la CIA, les commentateurs officiels en étaient encore à déplorer que «des armes fournies aux rebelles [«modérés»] finissent dans les mains de l’Etat islamique».

L’éditorialiste du Washington Post, à l’époque, était beaucoup plus concret et plus franc. Si l’ingérence de la CIA a, de fait, abouti à l’opposé exact de ses buts — en provoquant l’intervention russe en Syrie —, cela ne veut pas dire, soulignait-il, «que l’effort de la CIA n’ait pas été efficace. Dirigé à partir de centres d’opérations secrets en Turquie et en Jordanie, le programme a permis d’injecter plusieurs centaines de millions de dollars dans plusieurs dizaines de milices. Un fonctionnaire bien informé estime que les combattants soutenus par la CIA ont peut-être tué ou blessé 100 000 soldats syriens et alliés au cours des quatre dernières années.»

Et la France, la grande traite du Moyen-Orient dans tout cela ? Souvenez-vous des officiers français pris la main dans le sac de leur bunker djihadiste lors de la libération d’Alep ? Rappellez-vous la petite chapelle de la Loire où l’on fimait en secret les « exécutions » de Daesh ?

Source : Antipresse