LE MYSTÈRE DÉVOILÉ DE L’IDOLE DE PACHACAMAC

par Anne-Sophie Lesage-Münch

Au Pérou, des analyses inédites menées sur une sculpture en bois à l’effigie du dieu inca Pachacamac ont révélé que ce que l’on considérait jusque-là comme des traces de sang issues de sacrifices rituels avait en réalité une tout autre origine.

Objet de légende réputé détruit en 1533 par le conquistador Hernando Pizarro, lors de sa conquête de l’Empire inca, l’idole de Pachacamac a été découverte en 1938 par l’archéologue américain Albert Giesecke, dans un site archéologique situé à 30 km au sud de Lima. Depuis sa mise au jour, les spécialistes considéraient que les traces rouges visibles sur sa surface, interprétées comme des restes de sang, témoignaient de pratiques sacrificielles liées au culte du dieu créateur Pachacamac dont cette sculpture porte l’image. De nouvelles batteries d’analyses menées par une équipe internationale de chercheurs invalident aujourd’hui cette tragique hypothèse et ouvrent un tout autre pan de l’histoire culturelle pré-hispanique. Leurs résultats ont été publiés le 13 janvier dans la revue scientifique « Plos One ».

Une œuvre pré-inca enfin datée

Le site archéologique de Pachacamac, l’un des plus importants des Andes Centrales, au même titre que le Machu Picchu, a livré à ce jour de nombreux témoignages d’occupations depuis 200 av. J.-C. jusqu’aux années 1530. Quatre cultures précolombiennes distinctes s’y sont ainsi succédées : Lima, Huari, Ychsma et Inca. Site cérémoniel d’envergure, il abritait notamment un sanctuaire dédié au dieu éponyme Pachacamac, « animateur » du monde qui donne aux êtres créés le pouvoir d’exister, et plus particulièrement leurs moyens de subsistance. Son image, aujourd’hui conservée au musée du site archéologique de Pachacamac, prend l’aspect d’un mât en bois de 2,3 m de haut, pour 13 cm de diamètre, portant un décor sculpté en relief. Celui-ci figure, dans la partie supérieure, deux personnages anthropomorphes adossés. La partie médiane est ornée de motifs animaliers et géométriques, tandis que la partie basse, laissée lisse, était probablement insérée dans un piédestal. Les nouvelles analyses menées sur l’idole ont permis d’établir pour la première fois une datation par carbone 14 qui révèle que l’œuvre, réalisée aux alentours de l’année 731, appartient à la culture Huari, qui se diffuse entre 600 et 1000 après J.-C. et donne naissance à l’un des premiers empires andins. C’est à l’empire Huari que l’on doit donc l’introduction du culte de ce dieu créateur à Pachacamac. Durant la période inca, le complexe deviendra un important lieu de pèlerinage où plusieurs divinités (incas ou locales) étaient probablement vénérées.

Un pigment à haute valeur symbolique

Des analyses au spectromètre à fluorescence X, menées en collaboration avec le musée du site archéologique de Pachacamac où l’idole est conservée, ont ensuite révélé que les traces rouges visibles sur l’idole étaient dues à la présence d’un minerai de mercure, le cinabre, utilisé comme colorant. Couramment employé dans l’art textile ou encore dans l’orfèvrerie précolombienne, ce pigment rouge, de la couleur du sang, était particulièrement prisé pour sa dimension symbolique.

Ce cinabre n’était pas produit sur place mais était acheminé depuis des gisements situés à plus de à 400 km de là. Son utilisation dans le décor peint de l’idole de Pachacamac, l’un des principaux lieux de culte du Pérou pré-hispanique, témoigne d’une intention de montrer un pouvoir politique et économique local, capable d’acheminer cette denrée depuis une région lointaine. Le fantasme du meurtre rituel cède donc ici le pas à la compréhension de réalités politiques, économiques et culturelles bien plus éclairantes.

La polychromie et son usage dévotionnel dans les cultures pré-hispaniques

Le rouge n’est pas la seule couleur présente sur l’idole. Les chercheurs ont également découvert la présence de pigments blancs sur les dents d’un des personnages représentés sur le mât, ainsi que du jaune sur certaines zones des coiffes. On ne peut écarter la possibilité que l’objet présentait d’autres couleurs qui n’ont pas été conservées. La riche polychromie de cet objet dévotionnel faisait probablement écho au décor développé sur l’ensemble du site. Le Temple du Soleil et le Temple « peint » (Templo Pintado) conservent en effet de remarquables vestiges de peintures murales qui utilisent aussi bien du rouge, du jaune, du noir, du vert et du blanc. Cette découverte met donc en lumière un usage symbolique de la couleur dans les pratiques dévotionnelles des cultures inca et pré-inca du Pérou.

Source : https://www.connaissancedesarts.com/civilisation/des-chercheurs-elucident-le-mystere-de-lidole-inca-de-pachacamac-11131568/