LA RETRAITE EN DANGER

par Michel LHOMME

La réforme des retraites était censée supprimer les régimes spéciaux. Or, le gouvernement, à l’instar des policiers et des militaires, a battu en retraite comme sur l’âge pivot et reconnaît maintenant des « spécificités », comme avec les danseurs et le personnel si privilégiés de l’Opéra de Paris. Un accord a aussi été conclu avec les pilotes, hôtesses et stewards. D’autres concessions pourraient suivre. De son côté, Philippe Martinez, le patron de la CGT, a défini les conditions de la reprise du travail : le retrait du projet et un travail sur l’amélioration du système actuel. Le gouvernement l’accuse de blocages et d’intimidations.

Une des conséquences inattendues de ces grèves autour de la réforme des retraites, c’est leur inégalité selon que vous êtes un francilien ou un provincial notamment en matière de transport. Les Franciliens sont fortement handicapés par les grévistes (minoritaires) de la RATP et de la SNCF, ce qui est loin d’être le cas en province où la plupart des transports sont privés. La grève à la SNCF et à la RATP, au-delà de l’agacement, voit surtout les dettes s’accumuler et les Français savent bien que c’est eux qui au final passeront à la caisse. A quoi s’ajouteront les dégradations des usagers à bout de nerfs. Selon certaines sources, la RATP perd au moins 3 millions d’euros de chiffres d’affaires par jour de grève ce qui nous fait 102 millions €, mais ce n’est pas fini. A la SNCF, c’est pire encore, avec 600 millions de manque à gagner.

Le Jeudi 9 janvier, parti dans un calme relatif depuis la place de la République, le défilé d’environ 47 000 personnes contre la réforme des retraites a vite été le théâtre de scènes tendues. Vers la gare du Nord, la police s’est heurtée à des casseurs encagoulés et vêtus de noir décidés à en découdre. Des heurts ont ensuite émaillés la manif au niveau de la gare Saint-Lazare. Seize policiers ont été blessés. Le bras de fer a continué encore plus violent le samedi 12 janvier. C’est ce qui explique de toute évidence le recul du gouvernement.

Macron avait dit renoncer à sa future retraite de président. De cette info-intox, la presse a fait ses choux gras. Mais il n’en est rien. Il s’appliquera en fait le « nouveau système qui sera créé dans le cadre du futur régime universel à points ». Et donc sur la base des 15 203 € mensuel qu’il palpe actuellement. Sans compter les nombreux avantages en nature. Un joli coup de com mais qui a fait flop ! Ceci étant, le chef de l’Etat serait, paraît-il, très conscient de la haine dont il est l’objet dans le pays, même s’il a du mal à l’évoquer. Quand ses proches y font allusion, à une pré-retraite rapide par conséquent, il hausse les épaules. Mais son conseiller spécial, Philippe Grangeon trouve cela « très inquiétant pour 2022 ». D’ailleurs, les vœux d’Emmanuel Macron n’auront pas suffi à retourner l’opinion. Comme le révèle un sondage Odoxa, le soutien des Français à la grève contre la réforme des retraites reste majoritaire à 61%. il y en a aussi un autre qui pense à partir c’est Eric Morvan, 62 ans, à la tête de la direction générale de la police nationale (SGPJ). Il anticipe sa retraite avant la limite des 65 ans applicable aux hauts fonctionnaires. « Il est lessivé » commentent ses proches collaborateurs. Gérer une boutique de 150 000 personnes n’est pas de tout repos. Morvan avait pris ses fonctions le 2 août 2017. Issu de la préfectorale, il avait contre lui de ne pas être du sérail policier, contrairement à son prédécesseur, Jean-Marc Falcone, une véritable lavette.

Le gouvernement négocie de « façon loyale » avec les syndicats, a estimé Jean-Baptiste Djebbari, avant de tacler la CGT et son « refus systématique de toute réforme ». Une attitude qu’il a opposée au syndicalisme « constructif » de la CFDT et de l’Unsa, les vendus, avec lesquelles il serait possible de bâtir un « compromis contractuel ». Au sortir d’une journée de rencontres syndicats/gouvernement sur les retraites… on n’y voit pas beaucoup plus clair sur l’issue du conflit. La CGT refuse de participer à une conférence de financement de la réforme, la CFDT n’accepte que si l’âge pivot est d’abord abandonné. Et pour rendre les choses plus simples : on apprennait parallèlement que le projet de loi, théoriquement encore ouvert à la négociation/modification, a déjà été transmis…au Conseil d’Etat pour validation par le gouvernement.

Quelle réforme ? Le gouvernement qui envisageait une réforme des retraites plus égalitaires a finalement lâché du lest sous la pression syndicale. Gendarmes, pompiers, policiers et contrôleurs aériens pourront continuer de partir à 57 ans, voire 52 ans pour les postes les plus exposés. Les pilotes de ligne pourront partir à 60 ans, les agents de la RATP et SNCF n’ont obtenu qu’un délai : la première génération concernée sera celle née après 1980. Idem à l’Opéra de Paris où le régime s’éteindra à partir des nouvelles embauches de 2022. Les enseignants enfin, leur niveau de pension sera sanctuarisé avec hausse de rémunération sur 15 ou 20 ans, dès 2021 mais cela on attend de voir car cela semble une grosse pirouette à la Blanquer. Mais y aura-t-il encore des profs dans quelques années ? Alors que la réforme des retraites fait rage, le ministère de l’Education vient de publier la première enquête sur le climat scolaire dans les collèges et les lycées. On apprend ainsi que moins d’un enseignant sur deux (46,2%) se sent capable d’exercer le même métier jusqu’à la retraite. Les enseignants déplorent ne pas avoir reçu une formation « suffisante et adaptée » et ne pas avoir le temps nécessaire pour bien faire leur travail (58%). Plus de 60% des enseignants évoquent aussi une « quantité de travail excessive ». Au chapitre des violences, les enseignants citent la contestation ou le refus d’enseignement (35%), les moqueries et les insultes (24%) et les menaces verbales (12%).

C’est au cœur d’une grève exceptionnelle par sa durée que la SNCF a pourtant tourné une page majeure de son existence. A partir du 1er janvier, la compagnie ferroviaire n’est plus un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic). C’est une société anonyme à capitaux 100% publics . Le statut de cheminot et ses avantages sont terminés. La SNCF était jusqu’ici constituée de trois établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) : la structure de tête SNCF, le gestionnaire d’infrastructure SNCF Réseau et l’exploitant ferroviaire SNCF mobilités. Depuis le 1er janvier, la SNCF est devenue une société nationale à capitaux publics, intégralement détenue par l’Etat, et dont le capital est incessible. Elle est soumise aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes (SA). L’année 2020 signe également pour la SNCF le basculement vers l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs (pour le fret celle-ci s’est faite en 2006). Pour les lignes régionales, les Régions peuvent depuis décembre décider d’attribuer tout ou une partie des services de trains express régionaux au prestataire de leur choix sous forme de délégation de service public.

Enfin, dans le landerneau politichien, Christian Jacob a demandé au gouvernement de retirer sa réforme des retraites « qui n’a ni queue ni tête ». Jacob considère que « avec les exceptions et les différentes mesures d’âge, on va se retrouver avec un système beaucoup plus complexe qu’avant. » Pour une fois il n’a pas tort. Dans le même style : « on n’y comprend plus rien » s’esclaffe Yannick Jadot, le chef de file des écolos. Il s’en est pris à Edouard Philippe, qui « se fout pertinemment du système à points [car] son sujet à lui, c’est comment on économise sur les dépenses ».

Les représentants de l’hôtellerie, de la restauration et des transports ont rencontré les ministres Bruno le Maire et Agnès Pannier-Runacher son paillasson, pour leur indiquer que depuis le 5 décembre, date du début des grèves, ils ont enregistré des pertes d’activité de 30% en moyenne. Et Paris a été particulièrement affectée. Et pour les entreprises de moins de 11 salariés, la baisse du CA a été jusqu’à 60%. Fin décembre, 189 entreprises avaient déjà déposé des demandes d’autorisation d’activité partielle auprès des services de l’Etat, couvrant 2 819 salariés. « Nous ferons tout ce qui est nécessaire pour qu’aucun commerçant n’ait à mettre la clé sous la porte » a déclaré Le Maire.

Enfin prémonitoire : la question de la pauvreté. Elle est par exemple au cœur du débat en Allemagne. Avec comme axe la correction d’un système de retraite par points qui combiné aux réformes néolibérales du marché du travail ne donne pas du tout satisfaction. Selon Eurostat, en 2018, 19% des Allemands de plus de 65 ans sont en risque de pauvreté, ce qui est davantage que la moyenne de la zone euro qui est de 17,4%. En France ce taux est est de 6,3 % chez les 65-74 ans et de 9,5% chez les plus de 75 ans selon Eurostat. C’est l’un des taux les moins élevés au monde. Tout ça pour dire que le système à point, c’est vraiment une arnaque grandeur nature tout droite venue, il faut le rappeller du Parti Socialiste et de la CFDT pour faire plaisir aux patrons et aux fonds de pension avec en toile de fond le fameux modèle social-démocrate suédois. Or près de 16% de personnes âgées vivaient en Suède sous le seuil de pauvreté en 2017, toujours selon Eurostat, soit plus du double qu’en France ! Et c’est l’une des conséquences majeures de la mise en place d’un système retraites à points en Suède il y a déjà plus de vingt ans. Dans le pays où l’intégralité de la carrière est prise en compte pour le calcul du montant de la retraite, le niveau de pension a chuté pour s’élever aujourd’hui à 53 % du salaire de fin de carrière contre 60% en 2000. La fameuse valeur du point y a baissé à plusieurs reprises, en fonction de la conjoncture ce qui était prévisible et ce qui est pour les économistes d’aillleurs l’intérêt du système par point : de 3 % en 2010, de 4,3 % en 2011 et de 2,7 % en 2014 et cela a évidemment entraîné de facto une baisse des pensions. Le système des retraites à la suédoise, c’est encore l’ex-Premier Ministre Göran Personn qui en parle le mieux : «  Nous avons le meilleur système de retraites au monde, avec le seul petit défaut qu’il donne des pensions trop basses » !

Enfin et c’est peut-être l’essentiel mais qui est une fois de plus bien tu par nos merdias, en Belgique, ils ont gagné. Grâce à une forte mobilisation et une unité syndicale unanime sans trahison de soit-disant syndicats réformistes (la CFDT et L’Unsa) depuis une décennie à la botte des patrons et des sosialauds, les citoyens belges ont contrait le gouvernement à remballer son projet de système de retraites par point et c’était il y a deux ans, en 2018 !