par Franck BULEUX
Rouen encore sous le choc du 26 septembre
Depuis quatre mois, Lubrizol est l’un des grands sujets de conversation à Rouen cité meurtrie parce que les Normands, et plus particulièrement les Rouennais attendent des réponses à leurs multiples questions sur les causes de l’incendie, sur la dangerosité potentielle des fumées émises à la suite des explosions multiples de l’usine, des conséquences futures sur la santé, sur la comestibilité des produits locaux, sur l’eau qui coule du robinet mais aussi sur les suites à donner à la construction d’un « éco quartier » à deux pas de Lubrizol. Toutes ces questions sont toujours sans réponse à l’heure où j’écris ces quelques lignes, en qualité de Rouennais résidant près de Lubrizol.
Parlons-en, justement, des habitants de la préfecture de Seine-Maritime: à la maison, dans la rue, comme au bureau, chacun y va de son témoignage et de son explication. On fait référence à la presse, aux réseaux sociaux, au récit « de celui qui connaît quelqu’un qui sait tout » et, naturellement, tout le monde est convaincu d’avoir raison, avant d’ajouter en guise de conclusion : « attention, on n’est pas au bout de nos surprises ! ». Parfois, la rumeur évoque des individus qui, en siphonnant des camions, ont mis, malencontreusement le feu… Cette thèse, politiquement incorrecte, existe, même si elle n’est pas relayée bien sûr par les médias nationaux. On parle de « rumeur » mais pour éteindre une « rumeur », il faut l’aborder ! La peur de stigmatiser empêche notre société de s’interroger sur tel ou tel évènement, tout reste accidentel, fortuit. Certains diraient, « l’opération du Saint-Esprit » au risque de passer pour un dissident de la loi de 1905 sur la séparation de l’État et des églises. Remettre en cause l’origine d’un évènement ou simplement évoquer une pluralité de pistes, c’est prendre le risque de passer pour « fou » et de se retrouver au ban de la société civile. On l’a compris, à Rouen, les avis sont tranchés avec, en filigrane, beaucoup d’inquiétude pour les siens (il y a des femmes enceintes, à Rouen comme ailleurs) et de méfiance envers l’ensemble des pouvoirs publics, du président de la République, hué en sortant de la mairie de gauche plurielle (dirigée par Yvon Robert, socialiste qui a comme particularité d’être de la même promotion de l’ENA, que l’ancien président, François Hollande, d’ailleurs né à Rouen) aux élus locaux en passant par le préfet Durand, dont la communication, ou son absence, a laissé à désirer.
De fait, on ne connait toujours pas l’origine de l’accident et les spéculations vont bon train pour raconter l’histoire. Plus d’un mois après, le nuage noir de Lubrizol obscurcit toujours les esprits, c’est un malaise qui reste à dissiper. Mais comment dissiper ce flou lorsqu’il y a une véritable cacophonie au sein même des édiles qui dirigent la ville et la métropole régionale ?
A Rouen, Yvon Robert jette l’éponge
C’est vendredi soir que fidèle à son tempérament, le président de la Métropole Rouen-Normandie, Yvon Robert, a prononcé ses derniers vœux et par là, comme le souligne le Paris-Normandie du week-end(https://www.paris-normandie.fr/actualites/politique/yvon-robert-tourne-la-page-de-la-metropole-rouen-normandie-JF16209231), c’est toute une page politique qui se tourne pour l’agglomération rouennaise. Alors, regardons ce qui se passe à propos du drame de Lubrizol du côté des élus et des responsables politiques, dont la plupart sont des membres du Parti socialiste (PS) ou d’Europe-Écologie-Les Verts (EELV). À première vue, ils ont changé de posture. Après avoir reproché à l’État son manque d’information et ses incohérences, ils sont aujourd’hui apparemment d’accord pour passer à l’étape suivante, celle de la gestion de l’après-crise. « Maintenant, il faut réagir, disent-ils en substance, nous devons faire front pour préparer l’avenir ». C’est un discours qui se veut responsable et rassurant. Mais au-delà de ce discours de façade, ces postures politiciennes sont-elles suffisamment sincères pour résister aux polémiques électorales ? On peut en douter. À Rouen, par exemple, comme dans les communes voisines que l’on a souvent oublié (rappelons que Rouen ne représente « que » 110 000 habitants au cœur d’une communauté -la fameuse « Métropole »- de plus de 500 000 âmes) on se demande pourquoi avoir occulter toute mesure de précaution, après l’incendie, dans des communes situées sur la rive gauche de la Seine, comme Elbeuf ? Le vent, forcément le vent… Les villes réputées voter à droite (et La République en marche) ont été plus rapidement sécurisées que les villes qui fournissent les bataillons des électeurs du Rassemblement national (RN) et de la gauche socialo-communiste. C’est ainsi, le vent, le vent vous dis-je… ! Et puis, les élections municipales approchant à grands pas, le landerneau de la Métropole rouennaise avec le départ à la retraite d’Yvon Robert s’agite, comme l’ensemble du pays plongé dans une forme d’incertitude quant à son avenir. Le maire de Rouen, également président de la Métropole (oui, il cumule), par le fait qu’il ne se représente pas, attire les prétendants, dont le neveu de feu le Premier ministre socialiste Pierre Bérégovoy (1925-1993), Jean-Michel Bérégovoy, fils d’un ancien député socialiste local élu lors de la poussée de 1981, Michel Bérégovoy (1931-2011)… le frère de Pierre. Bref, Jean-Michel Bérégovoy, éternel leader des Verts à Rouen, dont il est le maire-adjoint chargé de la Coordination des outils de la démocratie participative se verrait déjà dans le fauteuil de maire. Lors des dernières élections municipales, en 2014, sa liste créditée de 11 % a été nécessaire à la réélection du socialiste, dont le score plafonnait à 30 % (une triangulaire contre l’UMP et le FN permit à la gauche, pourtant largement minoritaire, avec à peine 47 %, de conserver la capitale normande mais c’est ainsi et cela s’appelle depuis trois décennies la « drauche », la trahison à la Chrirac …). Bérégovoy se sait puissant, un peu comme la grenouille et le bœuf. Il porte un nom qui résonne faute de raisonner. Mais le bœuf socialiste a mauvaise mine, l’air de Rouen probablement.
Pour un pacte industriel municipal
Donc avant les élections municipales de mars prochain, les différents candidats jouent la « partition Lubrizol » à leur façon, sans s’occuper des autres, celui-là avec sa petite trompette, tel autre avec son tambour, tandis que le troisième a sorti son violon. En réalité, derrière l’unanimité affichée, c’est un concert de solistes qui s’est mis en place, des solistes qui ne pensent qu’aux élections et cherchent à se faire remarquer : le risque de surenchère est ici évident. La cacophonie qui en résulte n’est pas rassurante pour les habitants ; les fausses notes sont déjà de mise. L’heure n’est pas à l’harmonie, mais à la dissonance. Jean-Michel Bérégovoy est le candidat du tambour, celui qui souhaiterait chasser toute industrialisation de Rouen ! Avant Lubrizol, un sondage commandé par le président du conseil régional de Normandie, Hervé Morin, de sensibilité de centre droit, plaçait déjà le maire-adjoint Vert de Rouen en tête devant le candidat socialiste, l’ancien président de la région Haute-Normandie, juste avant la réunification de janvier 2016. S’il est nécessaire de protéger nos citoyens et si la solidarité nationale doit jouer en faveur des Normands (pourquoi ne pas mettre en œuvre le procédé, mis en place par une loi votée en 2003, des catastrophes technologiques ?), il m’apparaît comme irresponsable de mettre à mal notre capacité, grâce à la Seine, d’être une des régions les plus industrielles de France, avec la région de Berre l’Etang, près de Marseille et la Métropole lyonnaise. La Seine nous apporte des entreprises classées Seveso, mais c’est aussi une opportunité pour notre bassin d’emploi et pour l’indépendance énergétique de la France. Mais ces thèmes n’ont jamais été ceux des Verts qui repoussent, voire rejettent, notre système de production pour le remplacer par quoi ? Par rien !
Pendant que les élus -de gauche- amalgament cet accident avec le risque pesant sur l’ensemble du parc énergétique français les commissions parlementaires présidées par le député socialiste (réélu puisqu’il n’avait aucun candidat En marche ! contre lui en juin 2017) Christophe Bouillon et le sénateur Hervé Maurey, élu centre droit de Bernay, dans le département voisin de l’Eure tandis que les avocats jouent leurs partitions respectives. Si les travaux de ces commissions seront certes utiles pour un premier retour d’expérience, sur la gestion immédiate de la crise et sur l’amélioration des procédures en cas de crise, elles pointeront sans doute l’inefficacité des sirènes d’alerte, les imperfections du système d’information des élus et l’improvisation qui a prévalu sur le terrain le jeudi 26 septembre (dans les écoles notamment), faute de consignes précises et générales sur le confinement. Fallait-il d’ailleurs confiner les personnes ? Aujourd’hui, on nous répond par la négative, pour valider ce qui s’est produit, étrange et singulière explication et justification de l’absence du confinement ! De surcroît, les deux commissions parlementaires ne pourront pas répondre à toutes les questions : quelles sont les causes de l’accident, la gravité des pollutions, les risques sanitaires à moyen et long termes, les conditions d’indemnisation des victimes ? Tout cela prendra, de toute façon, beaucoup de temps. Le pouvoir législatif, nous en avons parlé plus haut, ils s’engluent dans des commissions.
Alors la seule défense des pouvoirs publics et des élus « responsables » (mais pas coupables) de gauche est d’agiter la fameuse théorie du complot. Lorsque le gouvernement voit s’agiter une contestation, comme celle des Gilets jaunes, il montre les réseaux sociaux du doigt, ceux qui véhiculent le complotisme, relayé par la « patriote sphère », qu’ils nomment « fachosphère » uniquement dans le but de discréditer tout ce qui s’y écrit, tout ce qui s’y propage. La discussion n’est plus possible, puisque votre argument a été repris ou pis encore, émane directement de ces réseaux sociaux qui pratique le « politiquement incorrect ».
Les avocats rouennais, certains d’ailleurs plutôt indépendants des pouvoirs locaux comme Gwenaël Thirel, ardent défenseur de la Normandie, sont entrés en scène : « les Rouennais ont des droits, ils méritent d’être informés ». Les avocats entrent dans le bal, la marmite rouennaise bouillonne, signe de l’inquiétude et de la méfiance généralisée à l’égard des élus.
Au-delà des faits, au-delà de l’incompréhension et des manœuvres politiciennes des élus, il est donc temps de réaffirmer la vocation industrielle de la France et, plus particulièrement de la Normandie qui contribue à près de 12 % à l’indépendance énergétique nationale, alors qu’elle ne représente qu’environ 5 % de la population nationale totale.
Le départ de Lubrizol de Rouen serait une catastrophe sociale car il entraînerait, aussi, le départ de sous-traitants. La propagande qui consiste à faire feu sur l’industrie n’a pour but que d’installer cette force obscure à la tête de nos mairies, le parti Vert. Le parti Vert a pour vocation claire de reconstituer les forces de gauche sous son aile, il se veut le PS d’hier pour devenir un parti « central » à la manière des Grünen allemands, devenus incourtournables dans de nombreux Länder d’outre-Rhin et jamais, eux, diabolisés. Et pourtant il y aurait beaucoup à dire sur les origines du parti en Allemagne. En France, nous en avons un exemple (si l’on peut dire), vous savez l’auteur du livre « Le grand bazar », l’ancien maire-adjoint de Francfort, pédophile à la Matzneff, Daniel Cohn-Bendit qui maintenant soutient sans vergogne Macron…
La ville de Rouen a besoin de résilience, elle a besoin de se reconstruire face aux larmoiements des écologistes et des socialistes. C’est l’image de Rouen qui est en jeu, et cela au niveau international. Elbeuf, commune toute proche de la capitale normande, comprenant 18000 habitants, possède sa Fabrique des savoirs, musée de l’histoire d’Elbeuf, avec notamment sa grandiose et prestigieuse histoire industrielle, celle des drapiers notamment. Et Rouen ? Ne mériterait-elle pas d’avoir, sur son territoire, un véritable mémorial industriel, un inventaire des métiers et des savoirs issus de l’activité lié à notre fleuve, la Seine ? Les Rouennais doivent se reconnaître comme des acteurs de la France industrielle ; en cela, la solidarité nationale doit aussi s’organiser. L’ADN de Rouen, c’est aussi ce caractère industriel. À quand un vrai pacte industriel municipal en France ?
L’accident (?) de Lubrizol ne doit pas être l’occasion pour les Cassandre de l’écologie, pour les Khmers verts de s’approprier nos villes. La mariée est trop belle, l’héritier des Bérégovoy ne doit pas s’installer dans le fauteuil de maire, servi par Lubrizol. Il ne s’agit pas ici de faire un plaidoyer pour Lubrizol : si cette entreprise a commis des erreurs, voire des fautes, elle a les moyens d’indemniser les victimes mais il faudrait, aussi, analyser les causes avant de nous projeter sur des conséquences forcément décroissantes. Avant la fin du monde, il y aura probablement, espérons-le, de nombreuses fins de mois. Les travailleurs rouennais, comme les travailleurs français, l’ont compris. La vocation industrielle de la France, son indépendance énergétique, l’apport essentiel de la Normandie au cœur de ce pacte social ne peuvent pas être balayés d’un coup de vent, même si celui-ci est chargé de fumées.
Ceux qui veulent mettre à bas notre industrie sont les fossoyeurs de la France et il est regrettable qu’un accident de ce type fournisse de l’eau à leur moulin électoraliste.