par HANNIBAL
Prenons les choses dans l’ordre chronologique. La fin de la campagne aura été abracadabrante. Pour freiner la vague populiste, tout aura été bon. Les médias néerlandais ont battu le tambour autour de la victoire travailliste aux Pays-Bas avant même le résultat final, sur de simples sondages sortie d’urne ; à l’inverse la poussée du parti du Brexit au Royaume-Uni ne semblait pas exister. Quant à Emmanuel Macron, il fut comme à son habitude impérial. Pour contourner l’interdiction de faire campagne le dernier samedi, il a donné le vendredi soir une interview filmée à un youtuber de Science Pô, bien conforme et gnangnan, qui a tourné en boucle pendant vingt-quatre heures. Est-il subtil ! Le CSA ne s’en est pas ému, semble-t-il, lui qui se montre parfois si sourcilleux : ainsi aura-t-il décompté le temps de parole de Steve Bannon de celui du Rassemblement national. Bannon est cet ancien officier de marine américain, banquier d’affaires spécialisé dans les médias puis producteur de cinéma et journaliste, patron du site conservateur Breitbart avant de s’en faire évincer, qui fut directeur de la campagne de Trump avant d’être limogé. Motif, il est trop voyant, on l’accuse d’être antisémite, ce qui est ridicule quand on sait que Bannon est un ardent sioniste, totalement inféodé à l’Etat d’Israël. Il est opposé à l’école de Chicago, anti-établissement et se rêve en anti-Soros finançant une internationale des populistes en Europe. C’est un lecteur du Camp des Saints qu’il cite volontiers, et il dénonce l’immigration extra-européenne qu’il tient pour la principale menace en Europe. Il s’est installé en mai 2019 à Paris et les médias y ont vu une ingérence étrangère dans la campagne : pour en persuader l’opinion, ils ont passé en boucle des images de 2018, où le Front national avait invité à son congrès via le très sioniste Louis Aliot, d’ascendants juifs revendiqués, Steve Bannon.
Les résultats. En Europe, si l’on simplifie, ce qui n’est pas toujours aisé étant donné les classifications locales, on peut dire que les socialistes et l’extrême gauche reculent, que les centristes et les écologistes avancent, que la fausse droite recule, que l’ensemble que forment eurosceptiques, souverainistes et populistes grandit, mais sans véritable bond en avant. Le PS et le PPE n’ont plus la majorité à eux deux au Parlement européen et ne pourront plus se partager le pouvoir comme ils le faisaient : cela n’affectera pas la domination du grand magma central, mais il faudra faire une place pour les libéraux et les Verts.
Sauf en Espagne, où le socialiste Sanchez sauve la mise, la gauche au pouvoir est battue, et les partis qui combattent l’immigration ont de bons résultats : la droite polonaise reste au pouvoir, Orban triomphe, Kurz aussi, sans que le FPÖ recule trop malgré le récent scandale, Salvini progresse nettement et la Ligue domine désormais le mouvement Cinq Étoiles dans la coalition au pouvoir. En Grèce Tsipras est écrasé. L’Angleterre voit la victoire du Brexit Party, moins ample qu’on ne le pensait cependant, un raté du Labour et un écrasement des conservateurs. En Allemagne, la CDU de Merkel perd sept points, le SPD douze, les Verts en gagnent dix et l’AFD trois. La tendance, sauf en Espagne, est au remplacement du PS par les Verts.
Elle s’affirme aussi en France, c’est l’un des enseignements importants du scrutin, derrière toutefois la participation, en hausse de presque dix points. La liste socialiste emmenée par Glucksman a frôlé l’élimination et perd sept points. Les Verts gagnent plus de trois points par rapport à 2014 (tous les autres partis reculent) et plus de quatre sur les sondages, malgré la présence d’écologistes “indépendants” qui ont un résultat non négligeable.
L’opération Bellamy chez les Républicains est un échec sanglant. Avec moins de neuf pour cent les successeurs de l’UMP plongent de plus de douze points, atteignant un plus bas historique (même Sarkozy avait fait mieux en 1994 avec 12,82 %). L’homme paye son catholicisme, son inexpérience, et aussi une ligne politique exécrable et contradictoire : se prétendre national et de droite, tout en préférant Macron au Rassemblement national. Les électeurs ont sanctionné. Bellamy ne sera pas Kurz parce qu’il a exclu de l’être dès le départ.
Le Rassemblement national sauve les meubles. Il recule de deux points, en pourcentage, sur 2014, mais progresse en voix, étant donné la participation en hausse. Le mérite en revient sans doute à Jordan Bardella, dont tout le monde pensait qu’il serait laminé, et qui a fait une prestation honorable. Le coup de mou que le mouvement connaissait depuis le débat raté de Marine en 2017 est presque effacé. Il faut dire qu’il a bénéficié d’une hypermédiatisation organisée par Macron, étant érigé en ennemi public numéro un. Il a également profité d’une actualité catastrophique, donc très favorable. Enfin, les deux listes gilets jaunes ayant ramassé des broutilles, on peut imaginer que la fronde de ces six derniers mois, qui ne débouche sur rien à peu près, a profité électoralement au RN. La France insoumise, qui caracola quelque temps, revient au niveau du Front de gauche en 2014, et les diverses extrêmes gauches ne décollent pas. Ce sont probablement les gilets jaunes qui ont empêché le déclin du RN.
Enfin Emmanuel Macron est le grand vainqueur stratégique de l’élection. D’abord, malgré le choix d’une tête de liste idéalement nulle, Nathalie Loiseau, rébarbative et pleine de casseroles, la Renaissance ne perd qu’un point et demi par rapport au score de Macron au premier tour de la présidentielle de 2017 (24 %). Sans doute le président de la République avait-il fait de l’élection un référendum anti-RN, et l’a-t-il perdu : mais de peu ; c’est une petite calotte, ce n’est pas la grosse fessée dont on rêvait. Pour le reste tout lui sourit. Philippot et Asselineau dans les choux, Bellamy KO, Dupont-Aignan balayé, la droite est en net recul en France, et le RN n’a pour l’instant nulle réserve ni d’alliance possible. C’est quelque chose de très neuf en France, la droite n’est plus majoritaire. Elle n’a plus besoin de se diviser pour perdre.
D’autre part, à gauche, la situation est parfaite pour Macron. Le PS sauve sa peau (un exemple de discipline républicaine et maçonne : tous les grands éléphants moribonds ont barri pour appeler à l’aide) de justesse : cela fera un allié à la main du président, et Mélenchon le gueulard retourne à l’état quasi-groupusculaire. Enfin, les écolos. Ils sont à la fois la préfiguration de la politique de demain et le triomphe de Macron. Avec sa campagne hystérique qui a mis au turf tous les ministres pendant les dernières semaines, le président a réussi a mobiliser les Français, la participation le dit. Il les a mobilisés contre lui, peut-on dire, puisque le RN est devant. Oui, mais pas que. Le score des écolos le montre. Parmi les électeurs verts il y a des Verts bien sûr, mais il y a aussi des gens qui n’ont pas voulu voter Macron tout en barrant la route au mal nauséabond, des bourgeois de progrès qui ont quitté des républicains trop catho, bref, beaucoup de bien-pensants qui on fait leur devoir de bons citoyens progressistes regardant la télé, admirant Greta Thunberg, et s’inquiètant du temps qu’il fera pour nos enfants. Macron a su susciter et cristalliser le nouvel électorat conformiste avec lequel il va marcher vers la république universelle au service de la planète. Le gauleiter de la France a superbement manoeuvré.
Ce texte est un extrait de l’éditorial du Rivarol du numéro 3379 de RIVAROL daté du 29 mai 2019.