CORONAVIRUS ET DEMOGRAPHIE FRANCAISE : RETRAITES, IMMIGRATION ET EMIGRATION

Par Yves MONTENAY

 

La presse nationale a récemment relayé les principaux chiffres du bilan démographique français 2020 publié par l’INSEE (*). Mais les chiffres « secs » » ne sont rien sans leur contexte. Par exemple l’action du virus sur les retraites, l’immigration et l’émigration. C’est aussi l’occasion de vous exposer mes idées hétérodoxes sur ces questions.

Le virus impacte-t-il la fécondité française ?

Ce qui a frappé la plupart des journalistes, c’est la baisse des naissances en 2020. Elles sont tombées à 740.000 (contre 820.000 en 2014) soit 1,84 enfants par femme, alors que le taux de fécondité doit être au minimum de 2,1 pour assurer le renouvellement des générations.

Certains ont un peu rapidement accusé le virus, oubliant qu’il faut 9 mois de gestation entre un événement et sa conséquence éventuelle sur les naissances.

L’impact sera donc pour 2021, et on aura sûrement du mal à distinguer si le confinement a rapproché ou éloigné les couples, ou si ceux dont l’emploi a été détruit ou menacé ont retardé un projet de filiation.

Et cet impact va continuer en 2022, car il est probable que fin mars 2021 la pandémie ne sera pas terminée et, surtout, que les emplois perdus ne seront pas encore retrouvés.

Or il est admis aux États-Unis qu’un point de chômage de plus entraîne une baisse d’un point des naissances (Les Echos, 17 juin 2020).

Les raisons de la baisse de la fécondité en 2020 sont ailleurs

Parmi les raisons de la baisse de la fécondité en France, il y a en premier lieu la forme de la pyramide des âges française avec moins de parents potentiels, c’est à dire d’adultes en âge de procréer.

Ensuite nous avons ce que l’on appelle « l’effet calendrier », c’est-à-dire le recul de l’âge de la mère à la naissance de son premier enfant ainsi qu’aux naissances suivantes. L’âge moyen à la maternité atteint 30,8 ans en 2020.

C’est un phénomène qui dure depuis longtemps, et qui est peut-être lié à l’allongement de la durée des études et à la difficulté croissante de trouver un emploi stable entre 20 et 30 ans. On retrouve la raison exposée ci-dessus pour les Etats Unis : la précarité pèse sur la fécondité.

Autre phénomène à long terme, l’érosion des avantages financiers aux parents :

  • au nom de la « solidarité », les aides allouées aux « riches » du fait de leurs enfants ont été progressivement rabotées, voire annulées, au profit de celles distribuées aux « pauvres ».
  • au nom de « l’égalité », on ne veut pas que les enfants des riches rapportent à leurs parents plus d’argent que ceux des pauvres (via le quotient familial des impôts).

Certes les « riches » ne font pas d’enfants pour avoir de l’argent, mais cela crée une ambiance de moins en moins favorable à la fécondité.

Les démographes en étaient d’ailleurs tout à fait conscients lorsqu’ils ont demandé en 1939 que la politique nataliste ne soit pas confondue avec la politique sociale et la réduction des inégalités.

Mais cette idée a été cataloguée « de droite » comme étant une façon indirecte de maintenir les femmes à la maison, ce à quoi la gauche est opposée et celle-ci a donc rogné les avantages financiers à chacun de ses passages au pouvoir.

L’expérience montre pourtant que les Françaises ont en général à la fois un travail et des enfants, même si c’est acrobatique.

Bref, il est vraisemblable qu’en 2021 et 2022 le nombre de naissances continuera à baisser, et que le virus en sera directement responsable, ou indirectement  du fait des difficultés économiques qu’il génère.

L’impact du virus sur les décès 2020

Les décès, eux, sont de 667.000 soit une augmentation d’environ 54.000 morts par rapport à 2019. Tiens, direz-vous, c’est un chiffre plus faible que celui, que l’on voit tous les soirs, du nombre de morts dus au virus.

En effet, en parallèle, les confinements ont diminué les décès par accident, de la route ou du travail (6 % de moins pour le moins de 25 ans)… ils ont également diminué les décès dus à la grippe dont le virus a lui aussi pâti des précautions sanitaires.

Cette mortalité due au virus, minorée par la diminution des autres causes de décès, restera probablement élevée en 2021.

Une fois terminée cette perturbation due à la pandémie, le nombre de décès devrait continuer à augmenter doucement avec le vieillissement de la population. Conjugué à la diminution probable de la fécondité, cela va considérablement diminuer l’accroissement naturel de la population française.

Le virus et les retraites

Voilà un beau sujet, auquel n’ont pas résisté certains complotistes : « Et si c’était une manière de tuer les vieux pour soulager les caisses de retraite ? » Hélas pour les cyniques, ça ne va pas très loin. On ne pourra chiffrer cet effet sur les dépenses des caisses de retraite que dans 2 ou 3 ans, mais un calcul extrêmement grossier montre que ces économies sont momentanées et secondaires.

Momentané, parce que beaucoup de décès dus au virus touchent des gens non seulement âgés, mais déjà malades (diabète, maladies du cœur, forte obésité…), qui seraient morts de toute façon un petit nombre d’années plus tard. Nous allons supposer 4 ans en moyenne dans le calcul qui suit.

  • si le retraité moyen touche 1.382 € nets par mois, soit 16 584€ par an,
  • si l’on suppose qu’en 2020 et 2021, 70 000 retraités mourront 4 ans plus tôt, cela fait 4,6 milliards d’euros d’économie, somme importante certes, mais il ne faut pas oublier qu’à l’inverse, les actifs et leurs employeurs payent actuellement beaucoup moins de cotisation du fait des difficultés économiques. Je n’ai pas connaissance du chiffrage pour l’instant, mais je parierais volontiers que les caisses sont en train de s’endetter et pas du tout de prospérer !

Ces 4,6 Mds des retraites non versées à 70.000 personnes restent faibles de toute façon si on les rapporte au total des retraites versées à nos 16,4 Millions de retraités durant ces mêmes 4 années et cet impact disparaîtra ensuite, sauf nouvelle pandémie ou autre catastrophe.

Rappelons que les actifs ne sont pratiquement pas atteints mortellement par le virus, et que ce sont eux eux qui voient au contraire leur mortalité baisser via les accidents évités « grâce » aux confinements. La population active ne sera donc pas atteinte.

Le virus et l’immigration

Là, l’effet est net : l’immigration a chuté. En effet la circulation internationale a été profondément perturbée, notamment pour les étudiants.

Beaucoup d’adversaires de l’immigration vont se réjouir, mais à tort. De même que l’on ne voit pas les trains qui arrivent à l’heure, mais seulement ceux qui ont un problème, on ne voit que les immigrants qui en posent et non la grande majorité qui sont indispensables à la production nationale, notamment dans les hôpitaux ! Le gouvernement vient d’ailleurs d’offrir la nationalité française à des centaines de médecins algériens.

Quelques chiffres pour situer cette baisse de l’immigration : 20 % de titres de séjour en moins, 27 000 visas « pour le travail » contre 39 000, la baisse la plus forte touchant les deux extrêmes en matière de qualification : les scientifiques et les saisonniers. On espère que les scientifiques ont compensé partiellement leur absence par un télétravail avec la France.

Le regroupement familial est passé de 91 000 à 75 000, les étudiants de 90 000 à 72 000, l’humanitaire de 37 000 à 32 160 200. Soit un total de 220 000 titres de séjour compte tenu des « divers ».

Ce chiffre est néanmoins considéré par certains comme « énorme », mais il faut rappeler qu’une partie des étudiants repartent.

Plus généralement en déduire que la France est « ouverte à l’immigration » est une erreur car il est extrêmement difficile d’immigrer si l’on ne rentre pas dans une des catégories ci-dessus. Nous perdons vraisemblablement beaucoup de gens qualifiés, alors que les États-Unis en recrutent dans le monde entier, notamment en gardant les meilleurs étudiants.

Le regroupement familial est dans le collimateur mais il nous est imposé, comme aux autres pays, par les traités internationaux. La fraude aux « vrais » passeports établissant faussement une parenté est probable, mais l’opinion s’est prononcée contre l’obligation de tests génétiques.

Chez nos voisins britanniques, la diminution de la population a été brutale et importante, avec le départ des citoyens européens préférant rentrer au pays, c’est-à-dire en général dans une maison familiale, au lieu de payer un loyer en Grande-Bretagne. Il s’agit surtout de Polonais dont la présence, jugée excessive, a été une des raisons de la victoire des « Brexiters ».

Le virus et l’émigration

Là, on ne peut faire que des supputations.

En effet il est impossible de mesurer l’émigration, car il n’y a aucune formalité administrative à faire pour quitter la France. On ne peut que lancer quelques coups de sonde a posteriori (liquidations fiscales, inscription dans les consulats étrangers…).

On sait seulement qu’elle est très importante depuis longtemps (100 à 200 000 par an ?), mais néanmoins proportionnellement moins forte que celle de nos voisins qui partent massivement, tel que par exemple les Britanniques vers les États-Unis ou les Italiens vers l’Allemagne (Le Monde)

Il est probable que les restrictions d’entrée dans les pays étrangers auront fortement diminué l’émigration française cette année et probablement en 2021, mais on ne le saura que dans un certain temps.

Une opportunité pour mieux gérer l’immigration

Finalement, le virus a légèrement aggravé notre situation démographique. Profitons-en pour rendre plus efficace la gestion de l’immigration

En effet, si le virus a chamboulé quelques chiffres particuliers, il n’a pas encore modifié profondément la démographie française. Il a accéléré sa détérioration avec la baisse des naissances que l’on devrait constater en 2021 et 2022.

Mathématiquement, un recours accru à l’immigration serait souhaitable, mais l’opinion n’en veut pas, ignorant les gens qualifiés qui s’intègrent sans bruit et sans lesquels la chute de notre niveau de vie serait brutale, comme vont bientôt le constater les Anglais.

Mais nous sommes en démocratie, donc la vis va continuer à être serrée, au lieu de réfléchir à un changement de législation.

Je rêve par exemple à donner un rôle aux chefs d’entreprise en matière d’immigration, en contrepartie d’un contrat de travail et d’un suivi de l’intégration. Ce qui serait dans l’intérêt de tous, mais se heurtera à une double réaction idéologique : celle, en principe de droite, des anti-immigration d’une part, et celle, en principe de gauche, considérant que l’on traiterait ainsi les immigrés comme des marchandises…

Bilan démographique France 2020 – INSEE Première 1834 du 19/01/2021

Au 1ᵉʳ janvier 2021, la France compte 67,4 millions d’habitants. Au cours de l’année 2020, la population a augmenté de 0,3 %. Cette progression est due pour moitié au solde naturel (+ 82 000 personnes), différence entre les nombres de naissances et de décès. Il a fortement baissé du fait de la forte hausse des décès liée à la pandémie de Covid-19.

En 2020, 740 000 bébés sont nés en France. En recul depuis 2015, l’indicateur conjoncturel de fécondité s’établit à 1,84 enfant par femme en 2020. La France reste, en 2018, le pays le plus fécond de l’Union européenne.

En 2020, 658 000 personnes sont décédées en France, soit 7,3 % de plus qu’en 2019. La pandémie de Covid-19 a particulièrement affecté les décès au printemps et en fin d’année. L’espérance de vie à la naissance s’établit à 85,2 ans pour les femmes et à 79,2 ans pour les hommes. Elle diminue nettement par rapport à 2019 (– 0,4 an pour les femmes et – 0,5 an pour les hommes). La baisse est bien plus forte qu’en 2015, année marquée par une forte grippe hivernale (– 0,3 an et – 0,2 an).

En 2020, 148 000 mariages ont été célébrés, en recul de 34 % par rapport à 2019, la pandémie ayant empêché la tenue des célébrations ou incité à les repousser en raison de la limitation du nombre d’invités.

« La pension moyenne de droit direct tous régimes confondus des retraités résidant en France s’établit à 1 504 € bruts mensuels. [ … ] En tenant compte des prélèvements sociaux, la pension moyenne s’élève à 1 382 € ». (Source DREES  : « Les retraités et les retraites édition 2020).